Jeannine Etiemble en 1974 ( Revue littéraire de la France, 1) et
Antoine Compagnon ( Les antimodernes, Gallimard 2005) avaient déjà présenté et commenté les relations
entre Benda et Paulhan. La mise en ligne sur le site OBVIL de leur correspondence entre 1926 et 1937
apporte de nouveaux éléments très intéressants.
Benda, comme on sait, entre en contact
avec Paulhan en 1926-27, au moment où, après avoir publié chez Grasset La
trahison des clercs, il devient, après un échec antérieur à se rapprocher de la
NRF, l’un des collaborateurs les plus réguliers de la revue, sous la protection
de Paulhan qui publie tout ce qu’il soumet. Jusqu’en 1940, date où Gide lui
signifie qu’il vaut mieux, en tant que juif, qu’il aille se faire voir ailleurs
(voir dans Les cahiers d’un clerc,
1949, la lettre à Gide de 1941). Pendant toutes ces années, Benda acquiert un
véritable magistère intellectuel, incarnant l’aile gauche de la NRF, ce qui
irrite fort les Drieu, Jouhandeau ou Fernandez, mais encore plus les
antisémites de Gringoire et de Je suis partout, qui le vouent aux gémonies.
Mais, protégé par Paulhan, il garde sa liberté, jusqu’à ce qu’il soit envoyé en
juin 40 en exil dans le Gard puis à Carcassonne (j’ai raconté déjà ici ces
épisodes, 1 sept 2013 Benda et Blanchot , et post sur Benda et Géhenno, 2017).
Les lettres de 1927-37 éclairent leurs
relations. Beaucoup sont essentiellement, au début, seulement des
correspondances sur les épreuves des textes sur publie Benda, sans contenu
autre que des indications typographiques et des corrigenda. On notera au passage que Benda ne cesse se déplacer
durant ces années, et envoie des cartes postales de France (la Manche,
Charentes, Calvados, et à l’étranger (Vienne, le Tyrol, La Haye, La Suisse, Prague,
Milan, et en1937 du Grand Canyon et de New York) sans doute pour des tournées
de conférences (il rapporte des triomphes à Florence et Milan). Dans une carte
postale de 1930 postée de Dijon, qui fait écho à Un régulier dans le siècle, il nous suggère ses emplois du temps :
D’une chambre d’hôtel
Bien
chauffée et tranquille,
Je
vise l’Eternel
En
ignorant la ville.
Progressivement Benda
passe du « cher monsieur » au « cher ami ». Dans une lettre
de 1931, il fait état d’une lettre de Frédéric Paulhan, père de Jean, sur la
lecture de Renouvier par Halévy, qu’il critique, puis de son admiration pour
Frédéric Paulhan. Il le citera souvent dans La
France byzantine, et Du style d’idées.
En 1931, Frederic P. meurt. Très vraisemblablement cette admiration de Benda
pour Paulhan père renforce l’amitié avec le fils. Puis les lettres commencent à
porter sur des points plus substantiels : la rédaction par Benda de son Histoire des français en 1932, et de son Discours
à la nation européenne
Certaines lettres sont typiquement bendesques :
[9 octobre 1932]
Mon cher Paulhan,
Mon ombre vous serait infiniment reconnaissante si
vous pouviez obtenir de mes confrères qu’ils ne me fissent point d’article
nécrologique.
J’ai connu de la part d’à peu près tous, uniquement
leur hostilité, leur colère, leur violence malveillance
systématique. J’entends rester sur ce traitement de faveur et ne point subir
les ménagements hypocrites, voire les petits « éloges » que les convenances leur
imposeraient nécessairement.
En 1933 , il montre peu d’empressement
à être publié :
Je prends bien aisément mon parti de
voir retarder l’insertion de ma prose, puisqu’elle est écrite pour l’éternité
.. Je le prends beaucoup moins bien pour l’article de Le S[avoureux] qui est si
proprement d’actualité .. Ne peut-il pas précéder ceux de Siegfried et de
Lévy-Brühl ? Ceci inspiré par ma seule animosité contre
Bergson.
La plupart des notes que Benda donnait à la NRF étaient
des scolies, ou des “air du mois” dans le style :
Air du mois
Disques et animaux
On
a voulu enregistrer les cris des animaux. L’aigle, l’ours, le lion n’ont rien
voulu savoir. En revanche, l’âne s’est tout de suite mis à braire ; on ne
pouvait plus l’arrêter.
Je
pense à mes confrères auxquels les journalistes proposent des questions. Les
grands répondent quatre lignes ; les petits envoient six colonnes.
En 1935, il livre un
projet :
Je commence, pour le Dictionnaire
philosophique de Voltaire, une préface qui va me passionner à écrire ;
elle consiste à prendre les principales idées politiques lancées par V[oltaire]
et à suivre leur fortune – et leur déformation – jusqu’à aujourd’hui
Benda ne manque pas de lâcher ses
piques
[août ?1935]
J’ai dû me faire beaucoup de tort avec mon texte de
P.V. [Paul Valéry], et irriter une fois ceux qui me reprochent de ne pas
observer les règles de la confrérie.
C’est d’autant plus sot que le texte n’est décidément
pas bien choisi ; la pensée qu’il exprime n’est pas absolument banale et
je pouvais, dans ses pensées son ouvre trouv et
dans les pâmoisons qu’elles suscitent, trouver mieux.
A vous
Il ajoute en 1935 :
cet André Rousseaux est stupide. Je
n’ai pas raillé la pensée de Valéry, j’ai raillé ceux qui le saluent de profond
penseur en tant qu’il dit des vérités qui, de l’aveu de R[ousseaux] lui-même,
crèvent les yeux.
Mais Paulhan n’aimait pas Valéry (voir
son livre PaulValéry ou la littérature
considérée comme un faux)
En 1935, il donne à la NRF des propos qui ont dû faire bondir
Air du mois [en haut et à gauche de la feuille de cahier]
Donc, Polémarque …
Donc, Polémarque, vous ne marchandez pas vos
hourrah à l’éloquence d’Hitler et voudriez que la France s’unisse à lui pour
faire la guerre au bolchevisme.
Que
haïssez-vous dans le bolchevisme ? La destruction suppression destruction de la
liberté ? La ruine de l’art ? de la civilisation ?. Toutes ces
choses sont-elles si brillantes en Allemagne et en Italie,
Parlez
donc net. Ce qui vous terrifie dans le bolchevisme, c’est la destruction suppression des
suppression
des classes possédantes, c’est l’anéantissement des privilèges bourgeois, dont
vous savez bien que le fascisme, quoi qu’il dise, les maintient.
N’espérez
pas trop. Vous dites à Blum que les ouvriers français ne vont pas se faire
casser la figure pour mettre au pas le fascisme italien, son ennemi personnel.
Croyez qu’ils se la feront casser moins encore pour arrêter le communisme
russe, qui ne menace que vos classes.
Une lettre de 1936 annonce les motifs
de la future querelle Benda / Paulhan
Cher ami,
encore une fois, indiquez-moi qq jours à l’avance votre passage par Paris. J’ai des choses à vs
communiquer soumettre quant à vos dernières « fleurs »
Et une autre lettre évoque le
mécontentement de Gide face à la Jeunesse
d’un clerc
8 oct. 1936
Cher ami,
je vous verrai donc à Paris le 14 et vous soumettrai
mes coupures de mon article de novembre.
Le mot de Gide m’a inquiété. Vous me l’avez communiqué
surtout, je pense, pour me montrer combien son esprit est curieux. Mais je me
suis mis dans la tête qu’il est grave pour moi qu’il ait envisagé que la NRF se
séparait de moi, et que vous croyez bon de m’en avertir, pour que je ne sois
pas pris en traître. J’aimerais que vous me donniez votre franc avis sur ce
point.
Quant à un esprit qui trouve que je manquerais
d’autant plus qu’on ne s’apercevrait pas combien je manquerais, j’avoue peu
l’admirer et ne pas sentir la justesse de « d’autant plus. » Mais ne
me donnez pas le mot pour l’ « admirer », sauf au sens latin.
L’« exaspération » de certains amis de la
NRF devant ma Jeunesse me semble toujours inexplicable.
– Je dois dire que je vois aussi des enthousiastes.
On connaît la suite, par
les analyses de Compagnon (voir aussi l’auteur des Lois de l’esprit) : en 40 lors de la débâcle Paulhan aide Benda à passer dans le
Gard à Lunel, puis à Carcassonne. Ils restent en contact, mais leur
correspondance va porter sur Les fleurs
de Tarbes, que Benda va attaquer des 1942-43, comme représentant in petto
la conception de la littérature pure qu’il attaque dans La France Byzantine. La correspondance publiée par Jeanine Etiemble
montre combien les relations s’enveniment. Chose intéressante, que je crois
Compagnon ne note pas, l’un des motifs de la querelle passe par l’article de Maurice
Blanchot publié en 1941, « Comment
la littérature est-elle possible ? » ( repris dans Faux pas) qu’on peut tenir comme le premier
manifeste de la conception blanchotienne de la littérature qui allait dominer
toute la vie littéraire pendant toute la seconde moitié du vingtième siècle.
En mars 45 , Benda écrit
à Paulhan
Cher ami,
La personne qui m'a fait
sur les Fleurs de Tarbes un rapport
qui « ne vous semble pas très honnête, ni même honnête tout court » est
moi-même . Votre jugement sur ce rapport ne me paraît pas juste si non-honnête
signifie qui refuse de reconnaître à un écrit un caractère qui, pour tout
lecteur de bonne foi, est évident. Ce caractère est selon vous, en ce qui
concerne votre livre, la méthode tainienne, « purement tainienne ». En quoi
consiste cette méthode ? A poser une thèse et à s'employer à la démontrer. Or,
une telle attitude existe peut-être dans votre livre, mais elle y existe, si
j'ose dire, incognito et ne représente aucune évidence tout au contraire 21.
Pour ce qui est de votre appareil démonstratif, il s'impose si peu au lecteur
que voici deux fois que vous croyez devoir me l'expliciter (que n'avez-vous mis
en tête de votre livre ce plan que vous m'adressez). J'ai d'ailleurs, sur votre
pratique de l'enchaînement des idées, un vôtre aveu : comme je me plaignais,
lors de votre publication du Carnet dans la N.R.F. 22 de n'y point trouver
d'articulations du raisonnement, vous vous tûtes mais me dites quelques jours
plus tard : « Elles y sont, mais elles sont cachées ». Quant à votre idée
maîtresse, elle se déclare si peu que la plupart de ceux de vos commentateurs
que j'ai lus écrivent : a II semble bien que la thèse de l'auteur soit ceci : »
On peut peut-être admettre qu'elle est
cela » ; que le principal d'entre eux, M. Blanchot, parle de votre conclusion «
mystérieuse » et se demande (je n'ai plus son texte exact // sous les yeux) si
le livre qu'on lit est exactement celui que vous voulez qu'on lise 23. En
somme, vous me paraissez rester au mot de votre jeunesse : « plus curieux que
convaincants » ; mais il semble qu’avec l’âge vous vous froissiez un
peu qu'on les reçoive comme tels. Un autre signe du peu d'évidence de votre
thèse est la divergence entre vos exégètes ; Bousquet sur Fernandez, Blanchot
et réciproquement. Rien de tel avec préface Litt,
anglaise ou tel livre de L’ Intelligence.
Jeannine Etiemble met en
note :
C'est ici à l'un des
commentateurs de Paulhan, Maurice Blanchot, que, pour l'accabler, se réfère
Benda. Notons le titre exact de la plaquette en question : « Comment la
littérature est-elle possible? » (Corti, 1943). Maurice Blanchot y
déclarait en effet que, dans Les Fleurs
de Tarbes, tout est « clair, ingénieux, sans détour » (p. 9), mais aussi : « II
y a deux manières de lire Les Fleurs de
Tarbes. Si l'on se contente de recevoir le texte, d'en suivre les
indications, de se plaire à la première réflexion qu'il apporte, on sera
récompensé par la lecture la plus agréable et la plus excitante pour l'esprit ;
rien de plus ingénieux ni de plus satisfaisant que les tours et les détours du
jugement en face d'une certaine conception littéraire qu'il regarde, fascine et
anéantit à la fois ; on sort de ce spectacle ravi et assuré. Malheureusement, après
quelques allusions dissimulées par leur évidence, divers incidents de forme et une
conclusion mystérieuse donnent peu à peu à penser. Le livre dont on vient de
s'approcher, est-ce bien le véritable ouvrage qu'il faut lire ? N'en est-il pas
l'apparence ? Ne serait-il là que pour cacher ironiquement un autre essai, plus
difficile, plus dangereux, dont on devine les ombres et l'ambition ? Voici
qu'il faut reprendre la lecture, mais il serait vain de croire que M. Jean
Paulhan livre jamais ses secrets. C'est par le malaise qu'on éprouve, et l'anxiété,
qu'on est seulement autorisé à entrer en rapports avec les grands problèmes
qu'il étudie et dont il n'accepte de montrer l'absence. »
Benda reprend ce texte et
l’allusion à Blanchot dans La France byzantine . Il y a là un tour
étonnant. Benda use, pour accabler Paulhan, d’une exégèse de Blanchot. Peut
être n’avait il pas lu directement Les
fleurs de Tarbes. C’est son tort. Mais il avait senti, derrière cette
approbation de Blanchot, la menace : se faisait jour à travers lui, et
donc Paulhan lu par lui, la conception même de la littérature pure à laquelle il voulait s’opposer , celle qu’il
condamnait depuis Belphégor. Mais il
y a aussi un sous texte. Pourquoi Benda a—il donné tant importance à cette
analyse de Blanchot ? Certes en raison de cette même conception qui s’y
fait jour. Mais aussi parce que Benda savait très bien qui était Blanchot. Il n’avait
pas pu ne pas au moins entendre parler
du compte rendu de la Jeunesse d’un
clerc que Blanchot avait fait quelques années avant, et qui suintait l’antisémitisme.
Je l’ai commentée dans ce même blog (4 aout 2014) . Benda n’ignorait pas non plus les
positions politiques de Blanchot dans les années 30 ( tout comme je crois qu’il
n’ignorait pas ce que Céline avait pu écrire de lui dans Bagatelles et l’école des
cadavres). Il avait compris ce qui allait être le retournement à la fois
littéraire et politique de Blanchot. Et il anticipait aussi la querelle
politique qui allait le séparer de Paulhan au sujet de l’Epuration et du comité
national des écrivains, qui allait conduire Paulhan à écrire en 1948 ses deux
articles sur « Benda ou le clerc malgré lui » dans Critique (la revue de Bataille et de
Blanchot) et Benda son article dans Europe
sur « Un fossoyeur de la France : Jean Paulhan ». C’est la
divergence à la fois littéraire et politique qui conduisit Paulhan, qui appelait
gentiment Benda « L’oncle Benda » dans les années 30, à ne plus voir
en lui que le vieillard aigri, et le second à ne plus voir dans le premier qu’un
fils indigne.
Julien Benda avait raté l'Académie française. Par contre, sur le site de l'Académie, on peut lire le discours de réception de Jean Paulhan, dans lequel il fait l'éloge de Pierre Benoit, son prédécesseur. Il se demande : pourquoi a-t-on besoin de l'invraisemblance de "L'Atlantide", comme de celle de "Fantômas" ? C'est sans doute l'invraisemblance qui le sauva, en lui donnant l'idée de s'enfuir par les toits des immeubles de la rue des Arènes, pour échapper à la police allemande. Et il raconte sa guerre de 14-18 dans les Zouaves, puis il passe à la linguistique pour ciiter le behavioriste Leonard Bloomfield. La réponse de Maurice Garçon se laisse lire. Jean Paulhan a fait aussi un discours pour la mort du général Weygand, dans la rhétorique des servitudes et grandeurs militaires.
RépondreSupprimerQuant à Frédéric Paulhan, son maître Théodule Ribot annonçait le behaviorisme. Avec Paulhan père et Ribot, on était dans l'antimentalisme. L'esprit était affaire de psycho-physiologie, et non d'introspection et de spiritualisme. Frédéric Paulhan disait aussi quelque chose d'intéressant sur le calembour. Il remarquait que le calembour était davantage présent dans le discours des aliénés que dans celui des personnes normales.
Benda n'a jamais brigué l'Acadéfraise, et il la vomissait; on ne rate pas ce à quoi on n'aspire pas.
RépondreSupprimerFrederic Paulhan faisait de la psychologie de la personnalité: la physiologie n'était pas pertinente pour ses travaux, ou seulement marginalement
Dans sa classification des écrivains, à partir de la métaphore du cimetière de Tarbes, Paulhan rangeait Benda dans les Rhétoriqueurs du lieu commun, et non dans les Terroristes. À l'inverse, il mettait Valéry dans les Terroristes, car Valéry écrivait, tout en marquant bien qu'il n'était pas du métier. Néanmoins, selon Paulhan, le Terroriste d'aujourd'hui serait le Rhétoriqueur de demain, et vice versa, ce que Benda ne devait pas approuver. Et Paulhan était plutôt un centriste de la "Maintenance", entre Rhétorique et Terreur, c'est-à-dire de la littérature pure. Benda le critique était aussi un romancier de talent, alors que Paulhan avait sans doute le même rapport à l'écriture que Roland Barthes : ce pas toujours différé, et finalement impossible à faire pour passer de l'autre côté, et devenir écrivain. Benda a écrit deux romans assez forts. "L'Ordination" raconte le pourrissement d'un amour romantique dans la lignée de Flaubert, Huysmans et Albert Cohen. On a fait également le rapprochement avec un roman d'analyse psychologique comme "Adolphe" de Benjamin Constant. Ensuite, il y a eu "Les Amorandes", avec une certaine préciosité des sentiments, qui lui donnait un charme ébouriffant. "La croix de roses" était un conte précédé d'un dialogue qui en faisait une œuvre réflexive. Avec Blanchot, nous allions vraiment avoir de la littérature réflexive.
RépondreSupprimern 'est ce pas le jardin public de Tarbes?
SupprimerJ'ai essayé de retrouver le reference à Benda dans les Fleurs de Tarbes, sans succès. L'avez vous?
Benda correspond mal au qualificatif de rhétoriqueur, même s'il défend, comme Paulhan le lieu commun; Mais il est clair que tout comme ce dernier il tient Mallarmé et vAléry comme des terroristes
La distinction entre Rhétoriqueurs et Terroristes ne réactualise-t-elle pas celle des Anciens et des Modernes ? On retrouve cette opposition dans le théâtre. Ionesco, qui hérite du fauteuil de Paulhan à l'Académie, est le Terroriste misologue de "La Cantatrice chauve", mais aussi le Rhétoriqueur de "Le roi se meurt". Chez Ionesco, on dit que la rhétorique survient quand on commence à parler du théâtre de l'absurde. Il y a quelque chose de tellement vivant et attachant dans le théâtre français de l'époque, qui faisait pourtant, comme chez Jean Anouilh, Marcel Achard ou Jean Giraudoux, revivre le style XVIIIème à la manière des ébénistes du faubourg Saint-Antoine qui fabriquent de la marqueterie Boulle. Mais il est vrai que Julien Benda n'appréciait ni le Nouveau Théâtre, ni le Boulevard, qu'il appelait curieusement le "théâtre juif", à cause de Bernstein et Porto-Riche. Il ne voyait pas que le Boulevard, héritier de Molière et des chansonniers bouffons Mondor, Tabarin et Gaultier-Garguille, avait aussi inspiré Ionesco et Samuel Beckett. Mais il est vrai que Popeck a été reçu en grandes pompes à l'Académie Alphonse-Allais.
RépondreSupprimerJulien Benda, Rhétoriqueur du lieu commun, qui écrit du roman d'analyse psychologique, ou du roman précieux, fait exactement ce que font les classiques, avec l'idéal mystérieux du classicisme, qui n'a pas d'autre fin que de réussir à produire du nouveau à partir des lieux communs antiques. En tant que critique, Julien Benda n'avait pas l'aigreur de Léautaud, qui était la réincarnation du Zoïle des Anciens. Jean Paulhan célébrait plutôt la clairvoyance et l'empathie de Félix Fénéon, qui n'avait rien raté de tout ce qui était nouveau, dans tous les domaines.
Quant à Blanchot, il connaissait le débat entre Rhétorique et Terrorisme. On le voit aussi chez Georges Bataille. Chez lui, il y a le Terrorisme de "La Haine de la poésie", mais dans le "Journal de Dianus", inclus dans "Histoire de rats", Bataille réécrit crûment le "Château" de Kafka. En fait, l'histoire de rats est celle des rats de bibliothèque ! Maurice Nadeau, lui, célébrait l'érotisme sadien de "L'Abbé C.", mais on ne sait pas où le classer.
oui en effet il y a un peu de l'opposition Anciens vs Modernes. Benda avait tendance, comme un certain nombre d'intellectuels juifs, à ne pas aimer les juifs. Bergson le premier!
RépondreSupprimerJean Paulhan cite plusieurs fois Julien Benda, dans "Les fleurs de Tarbes" et dans le "Dossier" en annexe. J'ai l'édition Gallimard de 1990 en Poche. Dans la Première Partie, "Portrait de la Terreur", "Les mots font peur", "Le pouvoir des mots", p. 57, citation de "La Jeunesse d'un clerc" à propos des littérateurs : "Leur propre est de se repaître de périodes agréables.". Puis dans la Deuxième Partie "Le mythe du pouvoir des mots", "Où le lecteur voit l'auteur à l'envers", "Une singulière confusion", p. 89, réponse à l'accusation faite à Benda d'attribuer toutes les vertus au Vrai, au Juste, au Bien, pour les rendre dignes d'entraîner toutes les convictions : "Soit, mais le bien ou le juste sont en fait pour Julien Benda, tout au contraire, le principe de la vérité, au prix de quoi tout le reste apparaît mots et phrases [...]". En réalité, la Terreur reproche à Benda l'illusion des grands mots. Paulhan y revient dans le "Dossier", "Sur le don des langues", "Lettre à Maurice Nadeau", p. 265-266. Ensuite, dans "Où les rhétoriqueurs se partagent le travail", p. 267, il classe Benda dans la Maintenance, entre Rhétorique et Terreur. Cela devient intéressant : "Or — comme s'ils s'étaient donné le mot, et partagé la besogne —, il se trouve que nos trois principaux Mainteniciens : Alain, Valéry, Benda fondent leur doctrine rhétoricienne (et leur oeuvre du même coup) le premier sur une apologie de la banalité, le second sur une défense du faux, le dernier sur un éloge de l'abstraction.". Ainsi, p. 270-271, Benda se trompe sur le mythe des langues concrètes des peuplades ignorant l'abstraction, et non sur l'illusion des grands mots. Puis, p. 272, dans "S'il existe des lois de l'expression", pour Benda des lois permettent de diriger la pensée à partir du langage. Enfin, p. 273, dans "Une solution de désespoir", pour sortir du dilemme Rhétorique-Terreur, il suffirait de faire la liste des illusions, dont celle de Benda. La fin du "Dossier" traite du langage et d'histoires belges.
RépondreSupprimerah ben vous me scotchez
RépondreSupprimerje n ai pas bien relu paulhan
j ai l edition gallimard blanche
Il est curieux de voir qu'à la Libération, au moment de l'Épuration, Paulhan a rejoint le camp des Terroristes de l'illusion des grands mots. Il disait que les mots ne sont que des mots, et qu'ils ne méritent pas le peloton d'exécution. Sous la paille des mots, il y a tout au plus le grain des choses. Alors que dans "Les fleurs de Tarbes", il citait Henry Bordeaux ("Les Roquevillard"), qui disait que le devoir, c'est un mot, mais que cela dépend de qui l'emploie.
RépondreSupprimerIl faudrait peut-être reparler de Julien Benda romancier d'idées. Pour l'auteur des "Lois de l'esprit", ses romans tombent des mains, et il ne faudrait retenir de la "Croix de roses" que la préface, comme on pouvait s'y attendre. Pourtant, en 1923, dans "Les Nouvelles littéraires", François Mauriac a écrit un bon article, à la sortie de la "Croix de roses", qui a été mis en ligne. Pour lui, Benda détourne Porto-Riche, et en effet on dirait qu'il fait du détournement de Boulevard, comme François Billetdoux dans sa pièce "Tchin Tchin". Mais en montrant de façon inhabituelle un personnage malheureux d'homme à femmes, Benda fait oeuvre de moraliste. Il y a la condition de ceux qui sont nés amants, et la condition de ceux qui sont nés maris, mais le bonheur n'est pas là où l'on croit. De façon surprenante, le personnage qui subit le servage de l'amant, jouet dans les mains des femmes, et qui se plaint de sa misère, rappelle le roman masochien de la Belle Époque. Mais Mauriac ne manque pas d'épingler Benda sur la question du romancier qui devrait être, comme le Dieu de Malebranche, débordé par la liberté de ses créatures. On dirait que Benda est plutôt un Dieu émanateur, en matière de création de personnages qui illustrent des idées. Au contraire, on raconte que Balzac mourant appelait à son secours le bon docteur Horace Bianchon, qu'il avait créé en lui donnant tant de vie.
RépondreSupprimerVous avez raison, l'auteur des Lois de l'esprit a été expéditif. Il faudrait revenir à ces romans curieux, si cérébraux en même temps que sentimentaux, de Benda, et d'abord à L'ordination et à Les Amorandes. Mais aussi à ces essais bizarres que sont La croix de roses et Les amants de Tibur, sur Properce que peut être auraient pu nous faire lire nos professeurs de latin de jadis, mais qu'ils ignoraient sans doute. A quel public ces livres étaient ils destinés? On les dirait faits pour les salons, pour le public de Paul Valéry, mais avec un échec garanti.
RépondreSupprimerPeut être juste pour une seule femme, Catherine Pozzi, que
Benda déroba au Sétois....
Prendre au sérieux la littérature des Antimodernes a constitué un coup de génie. À la fin du XIXème siècle, tout le monde vit sur les ruines du roman et de la poésie. Par la suite, on s'est fait un culte des grands noms de ceux qui ont réussi à reconstruire une oeuvre malgré tout, mais quand on se dépouille de sa dévotion, on se demande si réellement tous les auteurs se sont mieux débrouillés que Julien Benda, après la mort du romantisme.
RépondreSupprimerMais si , les néo classicistes abondaient à la NRF : Gide, Rivière, Martin du Gard, Paulhan, Larbaud, puis Chardonne, même les hussards, qui, s'ils 'étaient pas morts jeunes, seraient allés à l'Acadéfraise.
RépondreSupprimerEn tout cas, un Benda littéraire a peut-être toute sa pertinence. La littérature n' a pas été un simple péché de jeunesse dans une carrière de philosophe de l'esprit et de polémiste politique. La littérature, il y a cru malgré sa crise, et il s'est posé les mêmes problèmes que les auteurs de son temps. Mieux qu'une bizarrerie, ses romans ont été un laboratoire qui lui a permis d'écrire notamment "La France byzantine". Dans ce livre, ce qu'il disait, c'est qu'il comprenait parfaitement les problèmes des auteurs contemporains, que ces problèmes avaient aussi été les siens, mais que ces auteurs n'avaient pas fait mieux que lui. D'ailleurs, il est intéressant de comparer "La France byzantine" avec sa version paulhanaise, "Les fleurs de Tarbes". D'autre part, par son goût des dialogues, Benda était fait pour le théâtre. S'est-il risqué à la poésie, à une époque où il pensait encore qu'elle était compatible avec la pensée ? La poésie orphique de Mallarmé ne lui donnait pas envie, pas plus que la poésie d'ingénieur de Valéry, qui faisait revenir la poésie classique d'entre les morts, pendant la Première Guerre, avec "La Jeune Parque".
RépondreSupprimerMon prochain travail portera sur "Julien Benda, romancier d'idées". Il a fait une littérature d'avant-garde, à base de détournement de rhétorique du roman salonnard. Son but était l'abstraction, mais comme on fait en peinture de l'art conceptuel ou minimal. Il aura réussi à faire du roman sans en faire, un peu comme un Fumiste Hydropathe. Il serait intéressant de le voir comme un Monsieur Teste qui a sauté le pas de l'écriture.
RépondreSupprimerIl y a de cela, mais il faudrait encore que les lecteurs d'aujourd'hui soient capables de reconnaître Porto riche, Henri Bordeaux ou Rene Boylesve
RépondreSupprimerSans oublier Édouard Estaunié, l'ingénieur des Télécoms et des Lettres. Il est vrai que ces auteurs ont été académisés et rangés au rayon des distributions des prix sous le préau, avec discours du sous-préfet, avant de tomber dans l'oubli. Mais ils ont tous eu un moment intéressant. Paul Bourget a été Fumiste Hydropathe. Je reconnais qu'il faut sans doute être très doué pour faire partager aujourd'hui l'instant de grâce absolue qu'on eu ces auteurs.
RépondreSupprimerC'est comme si vous me disiez que vous regrettez le moment de grâce de Christine de Rivoyre , François Mallet Joris ou François Nourrissier
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