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mardi 31 mars 2020

SAINT GLIN GLIN



Acheter un poisson rouge pour son enfant - Magicmaman.com



«Drôle de vie, la vie de poisson! Je n'ai jamais pu comprendre comment on pouvait vivre comme cela. L'existence de la vie sous cette forme m'inquiète bien au-delà de tout autre sujet d'alarme que peut m'imposer le monde. Un aquarium représente pour moi toute une série d'énigmes lancinantes, de tenailles rougies au feu. Cet après-midi je suis allé voir celui dont s'enorgueillit le Jardin zoologique de la Ville Étrangère. J'y restai, bouleversé, jusqu'à ce que les fonctionnaires m'en chassent.»

  Queneau, Saint Glin Glin , Gallimard 1948


    Quand on est dans un aquarium, à contempler toujours les mêmes algues artificielles, attendant la pâte qu'une main inconnue distribue tous les jours, que fait on à tourner entre ces vitres dans l'eau
putride vaguement oxygénée par un appareil à bulles (dans le meilleur des cas). On ne peut même pas plonger, puisque on a déjà plongé et qu'on est dans l'eau jusqu'au cou. On n'a pas besoin de respirer, et on ne craint pas l'asphyxie par coronavirus car on a des branchies.

    Mais c'est au fond (de l'eau), une vie assez enviable. On s'ennuie ferme, certes. Mais on a un avantage très grand par rapport à ceux qui, comme nous, sont hors de l'aquarium: on peut remettre au lendemain ce qu'on pouvait faire le jour même. C'est aussi le lot commun de tous les captifs.  Alors que dans la vie quotidienne on ne cesse de nous demander de faire telle ou telle chose et de respecter des dates butoir, le poisson n'est obligé à rien. Le captif non plus. Il peut se livrer en toute tranquillité et en toute impunité à ce vice d'acédie que Dante décrit dans la Commedia ( Inferno ,VII, Purgatorio, XVII), que l'on appelle aussi paresse intellectuelle, et qui est souvent associé à la procastination.
   Mais il peut aussi le faire en toute liberté.Dans la littérature contemporaine,le paradigme est Oblomov.


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de préférence dans la traduction de Luba Jurgenson

       Dante traite la procastination et l'acédie comme des péchés, de même que Thomas d'Aquin. On est tenté de les mettre du côté de la faiblesse de la volonté , elle aussi fustigée par Dante. Et de la traiter, en termes contemporains, comme un comportement irrationnel par excellence: si l'agent rationnel est celui qui cherche toujours à faire ce qu'il juge lui être le plus utile, comment peut il ne pas le faire?  Mais la procastination est elle toujours un vice ? Est- elle toujours un comportement irrationnel? Il peut être sage , dans certains cas, de remettre une tâche ou un projet (Agamemnon n'avait pas tort d'attendre avant de lancer ses vaisseaux devant Troie, et les Grecs avaient de bonne raisons d'attendre sous les murs de Troie plutôt que de se précipiter à l'assaut). On peut escompter que la situation sera meilleure plus tard ( Voir G. Ainslie, Breakdown of will, tr. fr Anatomie de la volonté). On peut même, comme John Perry, adopter le comportement de procastination structurée, qui consiste à remettre sans cesse,mais à faire les choses petit à petit, sans se presser , en remettant les tâches fastidieuses, mais en accomplissant des tâches moindres: en gros c'est un renversement des préférences. Mais on  peut aussi soutenir, comme Christine Tappolet ( qui use d'un argument parfitéen) que la procastination est irrationnelle parce qu'elle implique une négligence ou un non respect de son moi futur.

     Un agent confiné est obligé de procastiner. Car d'une part il n' est pas obligé de faire certaines choses du fait que certaines tâches ne peuvent être accomplies ( à l'impossible nul n'est tenu), et d'autre part même s'il est obligé, les sanctions pourront difficilement s'appliquer. Il a, par ailleurs, pour autant que le confinement dure, tout son temps pour étaler le remplissement de ses obligations. Les impératifs cessent d'être catégoriques, il n'est même pas clair qu'ils soient hypothétiques. Il n'est pas délivré de tout projet, ni de toute obligation, mais il peut aisément les remettre à la Saint Glin Glin. Qui se soucie de son moi futur, sauf quelques utilitaristes ? En un temps où on ne cesse , sur internet et ailleurs, de nous donner des ordres, de nous presser de faire le jour même ce que nous pourrions faire le lendemain ou les jours, c'est un don rare. Faisons donc , consciemment, ce que nous aurions fait de toute façon: c'est à dire rien.





    
  

9 commentaires:

  1. DjileyDjoon@orange.fr1 avril 2020 à 17:24

    C'est le moment de relire l'Exercice d'un Enterré vif, de l'époque du virus nazi. Ou de puiser des ressources dans le confinement canguilhemien du Chambon-sur-Lignon. Quant au poisson rouge, ce qu'il voit arriver à travers son aquarium, c'est le croque-mort pour le Boomer. Et l'immunité collective des darwiniens. Il y a une vague déferlante de vitalisme dans le monde de la pensée. On découvre que c'est l'organisme qui fait sa loi, mon corps cet étranger, etc. Il fabriquera ses anticorps s'il lui reste un fond de santé. Il lui faut juste un placébo, et d'ailleurs chaque médicament est plus ou moins cela. La meilleure ressource à trouver est peut-être dans le fatalisme des Stoïciens. En attendant, tout le monde se passe le film de sa vie.

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  2. je conseillerais plutôt "The premature burial" de Poe

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  3. DjileyDjoon@orange.fr12 avril 2020 à 13:36

    Avec l'épidémie et son remède apparaît un sérieux problème épistémologique, doublé d'un dilemme éthique. Faut-il s'obstiner dans la rigueur méthodologique, qui fait des tests sur des mourants, ou bien peut-on assumer les risques de la médecine de guerre, qui tente désespérément de sauver qui elle peut par tous les moyens ? La science médicale n'est peut-être pas une science comme les autres. Elle traverse une crise grave, qui ne devrait pas trop durer, car on commence à se demander s'il y a encore une vérité factuelle, ou seulement des interprétations de tests. Après tout, la vérité n'est peut-être qu'un placébo, et c'est la santé du corps qui décide de ce qui est vrai. En ce sens, nous sommes saisis par une forme de vitalisme, vécu intimement. Même terrés au fond d'un appartement, nous ressentons les effets de la bataille de l'espèce humaine, pour parvenir à affaiblir et éliminer le virus à coup d'anticorps. Il y a une ontologie biomédicale au fond de la subjectivité.

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    1. La fin du XLVII de la peste à Athènes est-elle prophétique ?
      τοιόσδε μὲν ὁ τάφος ἐγένετο ἐν τῷ χειμῶνι τούτῳ· καὶ διελθόντος αὐτοῦ πρῶτον ἔτος τοῦ πολέμου τοῦδε ἐτελεύτα. [2] τοῦ δὲ θέρους εὐθὺς ἀρχομένου Πελοποννήσιοι καὶ οἱ ξύμμαχοι τὰ δύο μέρη ὥσπερ καὶ τὸ πρῶτον ἐσέβαλον ἐς τὴν ᾿Αττικήν (ἡγεῖτο δὲ ᾿Αρχίδαμος ὁ Ζευξιδάμου Λακεδαιμονίων βασιλεύs), καὶ καθεζόμενοι ἐδῄουν τὴν γῆν. [3] καὶ ὄντων αὐτῶν οὐ πολλάς πω ἡμέρας ἐν τῇ ᾿Αττικῇ ἡ νόσος πρῶτον ἤρξατο γενέσθαι τοῖς ᾿Αθηναίοις, λεγόμενον μὲν καὶ πρότερον πολλαχόσε ἐγκατασκῆψαι καὶ περὶ Λῆμνον καὶ ἐν ἄλλοις χωρίοις, οὐ μέντοι τοσοῦτός γε λοιμὸς οὐδὲ φθορὰ οὕτως ἀνθρώπων οὐδαμοῦ ἐμνημονεύετο γενέσθαι. [4] οὔτε γὰρ ἰατροὶ ἤρκουν τὸ πρῶτον θεραπεύοντες ἀγνοίᾳ, ἀλλ' αὐτοὶ μάλιστα ἔθνῃσκον ὅσῳ καὶ μάλιστα προσῇσαν, οὔτε ἄλλη ἀνθρωπεία τέχνη οὐδεμία· ὅσα τε πρὸς ἱεροῖς ἱκέτευσαν ἢ μαντείοις καὶ τοῖς τοιούτοις ἐχρήσαντο, πάντα ἀνωφελῆ ἦν, τελευτῶντές τε αὐτῶν ἀπέστησαν ὑπὸ τοῦ κακοῦ νικώμενοι.

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    2. Ne serait ce pas le début que vous citez ?

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  4. Cela sonne bien foucaldien. Je ne vois pas où le tiers exclu serait menacé

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  5. DjileyDjoon@orange.fr6 mai 2020 à 16:23

    Il est curieux de constater que les épidémies épargnent les philosophes, alors que les artistes et les écrivains sont victimes de celles-ci, de façon directe ou indirecte. Est-ce parce que la pratique de la philosophie est nécessairement confinée dans un poêle, ou dans un atelier de polissage de lentilles, ou sous l'escalier de Rembrandt propice à la méditation ? La grippe espagnole épargna Bergson, mais elle tua son beau-frère l'hermétiste Samuel L. Mathers, mari de sa sœur Moïna, avec lequel Bergson devait être en froid. On peut imaginer qu'à l'époque des "Deux sources de la morale et de la religion", Bergson lui aurait serré la main ou donné l'accolade. Certes, il y a eu aussi Max Weber, mais il était aux confins de la philosophie et des sciences humaines, et donc sociable par profession, au point de ne pas respecter la distanciation sociale. Mais surtout, il y a l'objection-massue du choléra de Hegel, conséquence ultime du dérèglement climatique occasionné par le volcan Tambora d'Indonésie. Dans le cas de Hegel, penseur de l'actualité de son temps, on peut estimer que sa praxis philosophique traduisait parfaitement l'accent qu'il mettait sur l'agir social. Hegel devait faire sans masque la lecture des journaux dans les brasseries berlinoises, ce qu'il appelait sa "prière du matin réaliste".

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  6. Je ne suis pas désolé de la mort de Hegel.
    de toutes façons les épidémies épargnent les vrais philosophes, qualité que je ne dénie pas à Hegel (quand même!)mais pas les faux. Je m'attends donc à une hécatombe.

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