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mardi 13 septembre 2016

Toujours plus à l'Wes


   Marc Cerisuelo, l'un de nos meilleurs philosophes du cinéma, vient de publier un petit livre sur Wes Anderson, le premier du genre en français.



    Il repère avec finesse non seulement ce que tous les amateurs d'Anderson ont déjà noté, le monde complexe de ses citations et de ses allusions. Il note, comme plusieurs avant lui, les références implicites à la littérature, comme celles au Catcher in the rye et à Franny and Zoey de J.D. Salinger.
Et surtout les allusions et citations cinématographiques ( voir par exemple ce site qui en répertorie quelques unes). La référence à Lubitsch est évidente partout. Une que le présent amateur d'andersoniana avait complètement manquée est la référence constante à Preston Sturges ( de Cerisuelo on lira aussi Preston Sturges , le génie de l'Amérique ). Sa science cinématographique fait merveille. Il fallait un expert comme Cerisuelo pour prendre toute la mesure de la technique d'Anderson, de l'évolution de ses films selon ses collaborations.


                                               Claudette Colbert in The Palm Beach Story

   Cerisuelo a aussi des commentaires éclairants sur le rôle des bandes sons et de la musique chez Anderson. Nul mieux que lui ne pouvait commenter le cinéma d'Anderson dans tous ses aspects filmiques. Ici je voudrais m'intéresser à quelque chose que personne ne peut manquer, le sens du détail chez Anderson, digne des commentaires de Daniel Arasse.

    J’ai déjà commenté ailleurs (ici même sur le blog )le rôle de la citation dans le kitsch andersonien. Voici un autre exemple de citation. Les andersoniens ne me semblent pas l'avoir aperçu. Au début de Grand Budapest , on voit M. Gustav se pencher à la fenêtre de l'hotel, du balcon, avant de se retourner et de lancer ses ordres à la troupe de ses aides. C'est la première apparition du Concierge. Cela ne vous dit rien ? A moi si. 


                                                  Caillebotte, Jeune homme à sa fenêtre
 
 J'ai , dans le billet sur les Enigma variations d'Anderson, commenté l'allusion à The Birthmark de Nathanael Hawthorne et sa conclusion:

"It was the fatal flaw of humanity which Nature, in one shape or another, stamps ineffaceably on all her productions, either to imply that they are temporary and finite, or that their perfection must be wrought by toil and pain. The crimson hand expressed the ineludible gripe in which mortality clutches the highest and purest of earthly mould, degrading them into kindred with the lowest, and even with the very brutes, like whom their visible frames return to dust. In this manner, selecting it as the symbol of his wife's liability to sin, sorrow, decay, and death"

Nous retrouvons ici le fonds puritain d'Anderson, la leçon morale que contiennent tous ses films, derrière ces coq à l'âne visuels. "Un défaut fatal de l'humanité que la nature, ans une forme ou une autre, a imprimé de manière indélébile dans ses productions". C'est une des clefs de ce cinéma moral.
     Cerisuelo mentionne à plusieurs reprises le puritanisme d'Anderson. Mais il ne le documente pas. A mon avis, c'est essentiel à son cinéma. Derrière les détails incongrus, derrière le chaos des citations et la mort de la culture, il y a un ordre moral. On pourrait croire que l'humour de ces films est tissé de scepticisme moral, mais il y a derrière un réalisme moral. C'est à mon sens une leçon anti-cavellienne. Là où Cavell voyait dans les comédies hollywoodiennes de remariage une célébration d'un désenchantement moral, je verrais pour ma part chez Anderson une tentative de réenchantement moral, dont la célébration de l'enfance est une pièce essentielle.

   2.   Un autre aspect que Cerisuelo éclaire excellemment est ce qu'il appelle la cartoonisation des films de Anderson. Elle atteint son paradoxisme dans Grand Budapest ( par exemple la scène où Zéro sort de chez Mendl sur les toits dans la nuit, qu'on croirait sortie d'un Tex Avery, et la scène finale de poursuite en luge qu'on croirait sortie d'un épisode de Bip Bip). Cette cartoonisation des images et des scènes était déjà présente, commente Cerisuelo, dans Preston Sturges. Notre critique commente aussi l'usage des maritonnettes et du stop motion picture, qu'Anderson partage avec Burton. Cette marionettisation me semble au moins aussi essentielle que la cartoonisation, qui en est plutôt un sous-produit.

                                                   Frank Tashlin, the girl can't help it

     Anderson, à la suite de Kleist, de Grabbe, et de Jarry (qui traduisit le Scherz, Satire, ironie de ce dernier sous le titre Les Silènes) , s'intéresse aux "pouchenels" , aux marionnettes. Il ne faut pas oublier que Ubu  est au départ conçu pour un théâtre de marionnettes.
    Cette veine est essentielle à Anderson.  Elle est essentielle à ce que j'ai appelé le metakistch andersonien.

                     Un fan à l'exposition Wes Anderson, Lyon, musée de la marionnette, Lyonn Noël 2015


                                                 Saint François en Vespa, Porto sept 2016

   

4 commentaires:

  1. J'ai découvert le célèbre "Jeune Homme à la fenêtre" par hasard. Caillebotte a peint de dos son frère photographe, en même temps que ce qu'il voyait. Zola n'a pas aimé le réalisme photographique du tableau, qu'il trouvait anti-artistique. Mais au XIXème siècle, les photographes ne cherchaient pas tous à reproduire platement la réalité en impressionnant une plaque. Dès l'apparition de la photo et du daguerréotype, certains ont cherché à "faire de la peinture" avec leur appareil. Wes Anderson, par cette citation dans son film, emboîte peut-être un autre débat, celui qui a opposé cinéma et télévision à la photographie, parce que ceux-là semblaient avoir de meilleurs moyens d'expression plastique que celle-ci.
    Dans ce billet, la cerise sur le gâteau, ou plutôt le Cerisuelo sur la tarte à la crème, c'est bien sûr, chez Anderson, la référence à Preston Sturges, qui apprenait la désobéissance, le non-conformisme et l'inconséquence aux cinéphiles en herbe.
    Quand j'étais lycéen, et que j'avais le privilège d'avoir la télévision pour apprendre le monde, tandis que d'autres ambitionnaient déjà d'écrire les rares œuvres véritablement rationalistes de la fin du siècle, j'avais vu "Les Voyages de Sullivan" de Preston Sturges, qui me marqueraient autant que "Hellzapoppin'" à vingt ans.
    À travers, l'histoire de ce metteur en scène d'Hollywood qui se clochardise, ou plutôt s'"hoboïse" pour arriver à faire un film authentique, la jeunesse apprenait à faire l'école buissonnière pour découvrir la vraie vie.
    Aux côtés de Sullivan, il y avait Veronica Lake, mais elle ne jouait pas encore son personnage de blonde diabolique, dans ce que nous autres Français appellerions "le film noir américain", parce qu'il brouillait toutes les règles de la morale ("Le Dahlia bleu", etc..). Sullivan était incarné par Joel McCrea, qui venait du western comme Gary Cooper, la doublure de Tom Mix, et qui exportait son allure dégingandée de cow-boy dans des comédies ("The Palm Beach Story") et des films d'aventures ("Correspondant 17", avec l'inquiétant George Sanders), avant de revenir définitivement au western.
    On dirait que "The Palm Beach Story" était plutôt une comédie du remariage, ou plutôt du rabibochage. Le titre français, boulevardier, était meilleur : "Madame et ses flirts". Wes Anderson préfère sûrement "The Palm Beach Story" à "Sullivan's Travels". Mais on dirait que son cinéma a la capacité de tout ingérer, pour constituer un univers parallèle à part entière, un peu comme le Blob, cette matière qui pénètre partout et qui absorbe tout. Cela explique peut-être son goût du coq-à-l'âne.
    Le métakitsch d'Anderson réside dans sa magnification de toute la culture populaire, qu'elle soit traditionnelle ou industrielle.

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  2. Je concours à 100% sur Les voyages de Sullivan, que je n'ai cependant découvert qu'en 1978 au Pacific Film Archive à Berkeley, avec d'autres films dans un festival. Cerisuelo est le meilleur spécialiste de Sturges.

    je signale cette rencontre avec l'auteur

    http://www.parisquartierlatin.fr/actualite/rencontre_avec_marc_cerisuelo_


    Sur le métakitsch d'Anderson, voyez mon article "Kitsch morale et nostalgie" et mes billets précédents.

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  3. Puisque l'humour noir est réputé être la marque de fabrique de Wes Anderson, et qu'on le trouve à tous les étages de "The Grand Budapest Hotel", il conviendrait peut-être d'évoquer un autre héros de la Ville d'Orléans, Tristan Maya, libraire et fondateur du Prix de l'Humour noir, mort et enterré dans cette ville an l'an 2000. Il était aussi officier de l'ordre du Clou et membre de l'Académie du Morvan, mais il était trop décalé pour fréquenter l'Association Guillaume Budé.

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  4. Je ne définirais pas son humour comme "noir". C'est bien plus un humour à la manière de Carroll ou d'Edward Lear, genre absurde.
    J'ai rencontré Maya une fois, via son fils, qui était en classe avec moi. Il (le père) était poète.

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