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jeudi 25 février 2016

“Some like Witters, but Moore is my man”

                                                               G.E. Moore


    Un excellent portrait de Wittgenstein par Tim Crane dans le TLS ( 24 feb 2016) nous rappelle que la conception romantique de tant de lecteurs qui veulent lire dans la vie de Wittgenstein un miroir de sa philosophie et vice versa, et qui pensent que les problèmes de la philosophie doivent être en général les problèmes de la vie, sont des illusions, qui ne sont ni conformes à ce qu’est la philosophie – une tradition, produit d'une histoire,  d’examen de questions qui ne sont pas nécessairement celles de « la vie »,  – ni à ce qu’elle doit être – un travail professionnel, le plus souvent sur des questions techniques et modestes : 

"On this alternative, philosophy is a systematic intellectual discipline; an impartial, dispassionate attempt to answer certain abstract questions which have arisen in the history of human thought in various forms, provoked by various kinds of speculation. Looked at like this, to ask whether time flows (for example) is not to suffer from any kind of intellectual disease which is in need of therapy; it is not to have your intelligence bewitched by language; it is not to misunderstand what Wittgenstein called the “grammar” of the word time. Rather, it is to grapple with questions that are at once simple to grasp – what is it for some things to be in the past, and some in the future? – and also of great complexity: how our actual temporal experience of the world is related to the picture of time and space that we have acquired from physics. And of course the nature of philosophy is itself a philosophical question, too; but this is because philosophy aims to be a foundational discipline, and the foundations of philosophy are as much in question as the foundations of other forms of knowledge. That is, after all, what it means to be a foundational discipline.  "

    Toutes ces cabanes dans les bois ou sur des îles, à Galway, en Norvège, toutes ces cabines à la Thoreau, elles sont disparu. Et qui a envie de vivre pauvrement dans une cabane ?

                                                  Rote salon, Palais Wittgenstein 1910

Austin remarquait ( à Paul Grice) : " Some like  Witters, but Moore is my man". La pipe de Moore, son tweed, ses pantoufles, est-ce vraiment méprisable ?

    Outre les remarques acerbes bien connues de LW contre Russell, jugé esprit étroit et faible, et Ramsey, jugé philistin , Crane m'en a appris une sur G.E Moore : " He once remarked to Leavis that G. E. Moore “shows how far a man can go who has absolutely no intelligence whatever”.

    Et si ces gens stupides, ces Edwardiens,  n'étaient pas, au fond, meilleurs philosophes que Wittgenstein ? 
   Le syndrome Wittgenstein est le même que celui de Pascal, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici: même intensité mystique, même obscurité profonde, même certitude de son génie et de la petitesse des autres. 
   
  

                      Il y a une version célèbre d'Elvis Prestley, mais tout le monde doit savoir qu'il y a celle-ci
  

lundi 22 février 2016

Le vin à principes




Depuis Noé, le vin a la réputation d'altérer le sens des principes. Dans sa description de l'anarchie révolutionnaire de 89 dans Les origines de la France contemporaine, Taine insiste sur l'importance du vin pour les émeutiers et sur le rôle que celui-ci joue dans la fureur de la populace qui pille les maisons nobles et bourgeoises, ainsi que les couvents et d'abord leurs caves. Il compare la révolution à l'ivresse et au banquet où l'on roule sous la table.


" Une bande enfonce à coups de hache la porte des Lazaristes, brise la bibliothèque, les armoires, les tableaux, les fenêtres, le cabinet de physique, se précipite dans les caves, défonce les tonneaux et se soûle : vingt-quatre heures après, on y trouva une trentaine de morts et de mourants, noyés dans le vin, hommes et femmes, dont une enceinte de neuf mois. Devant la maison, la rue est pleine de débris et de brigands qui tiennent à la main, les uns « des comestibles, les autres un broc, forcent les passants à boire et versent à tout venant. Le vin coule en talus dans le ruisseau, l’odorat en est frappé.

  .... c’est une kermesse. Les uns, dans les caves, défoncent les tonneaux de vin précieux ; 15 000 mesures en sont perdues et font un étang de cinq pieds de profondeur où plusieurs se noient....

Le lendemain, gens du peuple et soldats entrent dans les cafés, les couvents, les auberges, se font livrer à discrétion le vin et les vivres, puis, échauffés par la boisson, brûlent les bureaux de la régie, forcent plusieurs prisons, délivrent les contrebandiers et les déserteurs. Pour arrêter la saturnale, on imagine un grand banquet en plein air, où la garde nationale fraternisera avec toute la garnison ; mais le banquet tourne en kermesse, des compagnies restent ivres mortes sous les tables ; d’autres emmènent avec elles quatre muids de vin et les dernières, se trouvant frustrées, se répandent hors des murs pour piller les caves des villages... Chez le notaire, six cents bouteilles de vin sont bues ou emportées...

Le vin est répandu dans les caves ; un tonneau de 1 600 mesures en laisse échapper la moitié ; l’argenterie et le linge sont emportés. »

et Taine de conclure: "La toute-puissance subite et la licence de tuer sont un vin trop fort pour la nature humaine ; le vertige vient, l’homme voit rouge, et son délire s’achève par la férocité.".....
 
" Dans ce grand banquet national qu’elle croyait conduire, et auquel, portes ouvertes, elle appelait toute la France, elle s’est d’abord enivrée d’un vin noble ; mais elle a trinqué avec la populace, et, par degrés, sous la pression de ses convives, elle est descendue jusqu’aux boissons frelatées et brûlantes, jusqu’à l’ivresse malsaine et grotesque, d’autant plus grotesque et malsaine qu’elle persiste à se prendre pour la raison. "

(Taine, Les origines de la France contemporaine, l’anarchie, passim )

 On rapporte que Vergniaud avait une bonne cave, que Danton avait la sienne pleine de Bourgogne et de Bordeaux. Bernard Pivot rapporte dans son Dictionnaire amoureux du vin  que Robespierre jeune avait écrit un poème à Bacchus.

Taine avait tort. Le vin peut être à principes. Il peut être au service de la raison, du droit, de la démocratie et de la religion.


 Les vins du Federaliste  sont, nous dit la publicité, des vins à principes , et même un vin révolutionnaire.
 

 Ils maintiennent même l'impératif catégorique.



   et aident à croire en Dieu 

  

   
        Et l'on ne sera pas surpris d'apprendre que Donald Trump possèdait un vignoble, que, selon le site consulté, il a légué à son fils. 



mardi 16 février 2016

Ortograffe idiotte



    Tout le monde se souvient de cette planche du Piège diabolique où Mortimer, parvenu dans le futur en l'an 5060, erre dans des galeries abandonnées du métro, ruines du XXIème siècle. Il tombe sur une pancarte indiquant " STASSION  3 - DIRECSION PARI SANTRE" et remarque " Mais que diable signifie cette orthographe idiote ?"

    Mais comment Jacobs a-t-il pu anticiper si bien le XXIème siècle français  ? Quand j'ai lu pour la première fois cette histoire dans Tintin en 1960, j'étais loin de me douter qu'il avait à ce point raison.





dimanche 14 février 2016

La loi des suspects

                                                                          
                                                       Gaëtan de Saint Ange


    Parvenu au pouvoir en l'an 50 de l'Ere de la Raison (E.R), comme membre du Comité de Salut Rationnel (CSR), l'organisme principal de la Septième République, Gaëtan de Saint Ange  fit promulguer la Loi des suspects d'irraison. Elle réputait suspects ceux « qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de l'irrationalité et ennemis de la Raison, ceux qui ne pourront pas justifier, de la manière prescrite par le décret du 5. Spinoza E.R , de leurs moyens d'exister et de l'acquit de leurs devoirs  rationnels ; ceux à qui il a été refusé des certificats de rationalité , les fonctionnaires publics suspendus ou destitués de leurs fonctions par Minerve ou par ses commissaires et non réintégrés, ceux des ci-devant Intellectuels médiatiques, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs, et agents du Pouvoir médiatique, qui n'ont pas constamment manifesté leur attachement à la Raison, ceux qui ont émigré dans l'intervalle d à la publication du 30 mars 50, quoiqu'ils soient rentrés en Royaume rationnel dans le délai prescrit par ce décret ou précédemment ». Cette loi et ses décrets demeurèrent vagues. Saint Ange la fit préciser. Elle visait ceux qui «n'ayant rien fait contre la Raison, n'ont rien fait pour elle», mais aussi " Tous ceux qui, ayant les mots de Raison, de Vérité et de Conséquence sans cesse à la bouche fréquentent en fait des ci-devant Irrationnels, les Mystiques Bergsoniens, les Foucaldo-Sophistes, et les Pseudo-Sans Culottes des Ondes et des Lucarnes."

   Cela comprenait clairement tous les Fauteurs de paralogismes, Affirmateurs du conséquent, Incapables du Modus ponens et du Tollens, Victimes des sorites, Sophistes payés et tous ceux qui abusent le peuple "par des discours astucieux", Acratiques épistémiques, Dissonants cognitifs, Fauteurs du Paralogisme de la Conjonction, et autres victimes de Paris hollandais, mais aussi les Irrationalistes ordinaires et anonymes, ceux qui se bercent d'illusions, s'illusionnent et sont dupes sur eux mêmes ou procastinent. Cela comprenait aussi tous ces Princes Supposés de l'Esprit ( PSE) qui avaient atteint , soit par la concussion et la corruption, soit par privilège et industrie, soit par faiblesse de la volonté un statut de domination médiatique, par lequel ils répandaient sur les foules sornettes, bêtises, et illogismes au nom de leurs Intérêts particuliers. La loi traquait aussi "tous ceux qui avaient fréquemment changé d'avis et affirmé que P et non P, en en tirant toutes les conséquences" .

    Les prisons se remplirent, les charrettes se dirigèrent vers la Place de la Révolution où siégeait la Machine à Décerveler. Yeronimus Sacristain, Arpad Distendu, Réaumont des Seychelles, Baldin de Youville, Ebenezer de Flore Intestine, Rabbas, et tant d'autres tenants d'échoppes de radio, de follicules, de sites internet, de collections littéraires, de Maîtres de l'Université et de la Recherche, y compris ceux du Collège Royal et Rationnel, furent exécutés sur l'heure.

    Avec eux vinrent en masse les misérables incapables d'évaluer les probabilités et les chances, les tenants du sens commun  refusant de céder à la critique ou simplement d'y souscrire. Ensuite figurèrent tous les ignorants, ceux qui n'ont pas d'instruction et n'ont pas voulu en avoir.

   Cela faisait beaucoup de gens. Peu échappèrent, et ceux qui eurent cette chance appartenaient néanmoins aux catégories honnies. On dénombra pendant la période plus de 200 000 arrestations et presque autant d'exécutions.
     Du coup les imbéciles gagnèrent. Ils appelaient un chat un chat, n'osaient rien de dire de peur de se contredire, ou n'affirmaient que des banalités. Ils proportionnaient leurs croyances à l'évidence, et toutes leurs actions étaient basées sur des croyances dont la probabilité était très proche de 1.

      Saint Ange lui-même fut victime de la loi qu'il avait  promulguée . Le jour même de la Saint Frege (17.sept E.R.) il fut surpris à prendre la Partie pour le Tout, et, ironie du sort, accusé par un professeur de Rhétorique du Collège Royal, traduit devant le Tribunal de la Raison, et réduit à l'état de Noumène.