Ce qui reste de l'Académie de Platon
Omitte ista quae
nec percunctari nec audire sine molestia possumus ( Cic, Ac. I)
Ma notule byzantine sur les MOOCs [1]
semble avoir attiré plus de cliqueurs que d’habitude. J’ignore si les cliqueurs sont aussi des lecteurs - puisqu’ une étude récente sur la lecture sur
internet montre qu’une minorité seulement des cliqueurs lisent – quand ils lisent- les
articles sur internet au-delà des vingt premières lignes. Parmi les
commentaires, il semble qu’une des objections qu’on m’ait faites soit d’avoir
choisi le style de Juvénal plutôt que celui de Cicéron. Je suis ravi d’entendre
ce genre d’objection car je prise l’argument autant que la satire, mais elle
m’étonne un peu car d’une part la satire se lit toujours à plusieurs
niveaux (et la mienne n’était pas
dirigée uniquement contre les MOOCs) et parce que j’ai ailleurs essayé de donner quelques arguments. Sans doute sont-ils passés inaperçus ou
sont-ils si ridicules qu’ils ne méritent aucune réponse. De plus une nouvelle
bouffée d’enthousiasme semble avoir saisi les medias, sans doute à la suite de
l’annonce par le Ministère de enseignement supérieur français de son plan FUN. C’est
pourquoi je voudrais récapituler ici quelques un de mes arguments contra, au risque de répéter souvent. Comme
le disait Gide en substance: « Il faut toujours dire deux fois les choses,
parce que de toutes façons les gens n’écoutent pas ». S’il avait connu la
civilisation numérique, il aurait sans doute dit « quinze fois »
(même si je ne connais pas les études psychologiques - depuis la fameuse loi d’oubli d’Ebbinghaus sur
le nombre de fois où l’on doit répéter un message de plus de dix mots pour
qu’il soit enregistré par les cervelles auxquelles il s’adresse). Hypocrite cliqueur, mon semblable, mon
frère ! Je suis sûr que vous avez à ce stade déjà abandonné votre lecture.
Le reste est pour les clic-liseurs.
Je laisserai ici de côté les questions de fond qui
constituent à mes yeux l’arrière-plan de toute discussion sensée sur les MOOCs,
c’est—à-dire la place de l’écrit et du livre dans un monde à présent colonisé
par internet , et le problème de
savoir si, au sein d’un tel monde, il y a encore place pour un enseignement
universitaire digne de ce nom ( ou de ce que certains universitaires tiennent
encore comme tel). Les excellents livres de Rafaele Simone, de Roberto Casati et dans une certaine mesure le
Documentalità de Maurizio Ferraris
(pourquoi les penseurs italiens sont-ils
à la pointe de la réflexion dans ces domaines ?) y aident beaucoup.
Je les discuterai ailleurs. La plupart des discussions pro et contra les MOOCs
se font sur la base de pétitions de principe dans les deux camps, ou en tous
cas sur la base de conceptions souvent antagonistes de ce que l’internet fait à
nos existences de lecteurs traditionnels ou de ce qu’est et doit être
l’université d’aujourd’hui. La mienne n’est certainement pas celle que semblent
appeler de leurs vœux certains enthousiastes des MOOCS, qui semblent rêver d’un
vaste campus virtuel mondial.
Une première chose à noter, dans pas mal de
billets et articles que l’on peut lire ces temps-ci ainsi que dans les annonces
ministérielles, est que, comme la plupart du temps avec les réformes et
innovations lancées par le Ministère, toutes ces mesures sont proposées dans un
contexte plus ou moins idéal, sans friction, où l’on fait abstraction des
conditions ordinaires de l’université française (dont beaucoup s’accordent à
dire qu’elles sont catastrophiques, notamment au plan financier) et qu’on fait
aussi souvent comme si on pouvait
comparer l’impact des MOOCs en France
avec celui qu’il peut voir aux Etats Unis, en Suisse ou en Grande Bretagne. Or
les conditions sont très différentes.
Même si les plateformes comme Coursera ou EDx qui attirent la majorité
des MOOCs sont les mêmes de ce côté et de l’autre de l’Atlantique, les
universités auxquelles les MOOCs sont associés sont très différentes, pour le
moins ! Il n’échappe à personne que les MOOCs n’ont pas du tout le même impact dans un
système universitaire où un étudiant de College coûte en moyenne ( aux usagers)
dans les 20 000 USD par an et les graduates autour de 30 000 USD et
dans un système où les étudiants coûtent deux fois moins à l’Etat mais où le
prix d’une inscription est de moins de 200 euros. Quand on
nous dit que les MOOCs offrent une « éducation » universitaire
gratuite ouverte aux étudiants du »monde entier », veut-on réellement
dire que les universités vont à présent dispenser gratuitement un enseignement
et des services qui coûtaient auparavant de20 000 à 50 000 USD selon les
établissements ? Come on! Comme le dit l’adage, there is no free lunch. Les journaux dits gratuits sont gratuits,
l’internet est gratuit, etc. mais toutes sortes de choses gratuites ne le sont
pas en réalité (voir l’excellent livre de Francine Markovits C’est gratuit ! A qui profite ce qui necoûte rien ? Albin Michel 2007). J’y reviens plus bas.
En premier lieu, considérons ce qui semble être
incontestablement des avantages des MOOCs . Pour le moment j’en vois quatre
principaux:
1)
Ils sont
attrayants, souvent très bien faits : les professeurs y apparaissent avenants, brillants,
bon pédagogues, et ils offrent une image de l’enseignement qui tranche avec
celle du prof ennuyeux, bafouillant, distrait ou hautain que nous connaissons
par notre expérience de l’enseignement scolaire et universitaire. aussi, sur
écran, des professeurs qui – par définition – sont toujours présents, de bonne
humeur, et pas grincheux ou acariâtres. Ils sont aussi, pour la plupart,
compétents, vivants et désireux de faire passer leur enseignement. Finis les
mauvais profs qui nous ont fait fuir jadis ! Bref les MOOcs donnent sur
écran une excellente image de l’enseignement universitaire ! Cela présente
bien.
2)
De ce fait,
les MOOCs sont, pour chaque université, une excellente vitrine. Ils permettent
à ceux qui n’ont encore jamais eu de cours universitaires un premier accès à
des matières très diverses. Ils donnent envie – du moins on l’espère - aux
étudiants qui les regardent d’aller s’inscrire dans les établissements dans
lesquels enseignent ces professeurs sympathiques et compétents (à condition –
et c’est là tout le problème – que les étudiants puissent revoir ces êtres de
pixels en chair et en os).
3)
Ils offrent a priori un certain nombre d’avantages
matériels. En place : si les enseignements des premiers cycles ou de
licence, ou les enseignements de
formation continue deviennent virtuels, ils dégonflent, voir permettent de
supprimer les amphis bondés qui sont la plaie des premières années.
Financière : si les MOOCs sont gratuits – en principe ! – ils doivent
pouvoir rapporter de l’argent aux universités qui les promeuvent, soit en leur
amenant de nouvelle inscriptions (ici la logique américaine n’est pas la même
que la française), soit en en faisant économiser (moins d’amphis, et peut être
moins de postes d’enseignants en « présentiel : si on trouve qu’il y
a trop de fonctionnaires en France, c‘est un bon argument). Songeons aussi à
nos amis turbos profs (dont je fais,
comme à peu près 70% de mes collègues d’université , partie – et si on
considère les conférences , colloques, cours invités etc. on peut dire que cela
recouvre à peu près 99% des enseignants du supérieur) : plutôt que de se
déplacer pour faire des conférences ou des cours, pourquoi ne pas envoyer un MOOC ?
On imagine évidemment les effets pervers (pourquoi aller passer 15 jours à
Pékin sur un campus, alors qu’on peut y envoyer un MOOC et visiter Guilin
pendant que les masses vous contemplent
sur video ? Mais au bout d’un moment les Chinois auront-ils envie de
seulement vous payer des vacances ?)
4)
Les MOOCs sont des versions vidéo des manuels
d’antan ou des manuels online. S’ils
peuvent en tenir lieu, dans un certain nombre de circonstances
pourquoi pas ? Mais un manuel est un outil d’enseignement, il ne tient
pas lieu de l’enseignement lui-même. Dans les apprentissages à forte dimension
ostensive (manuels de jardinage, de mécanique automobile, de guitare, dans les
sciences de l’ingénieur, pour des apprentissages mathématiques élémentaires,
comme ceux que fournit la Kahn Academy) ils peuvent être efficaces. Mais cela marche
avant tout au niveau college , bachelor ou premier cycle, et encore pas pour tous les
enseignements. Je conviens donc tout à fait que les MOOCs peuvent être, s’ils sont utilisés en coordination avec un
enseignement « présentiel », de bons outils d’accroche.
A présent considérons
quelques objections
Tout d’abord chacun des avantages
ci-dessus a son revers.
1)
Personne ne
nie que la forme d’un enseignement joue un rôle considérable. Mais il y a un
risque très sérieux de standardisation des enseignements.
Que va-t-il se passer si un enseignant
de MOOC présente mal, en dépit du fait qu’il soit un grand professeur ? On
peut parier que ce professeur se verra exclut des MOOCs. On me dira que cela
toujours été le cas, et que les grands professeurs peu attrayants mettent plus
de temps à s’imposer même dans les modèles pédagogiques traditionnels. Et que
vont devenir les enseignements d’université qui ne sont pas sur MOOCs ?
Ils seront sans doute moins glamour que
leurs contreparties mouquées. Va-t-on les supprimer ? Reléguer leurs
enseignants dans des fonctions auxiliaires, d’ « accompagnateur
d’apprenants », de G.O du supérieur ? Y aura-t-il même encore de tels
enseignements dans certains secteurs ?
Ici se pose le problème de base qui sous-tend un grand nombre de projets
sur les MOOCs : (i) s’agit-il de les proposer en remplacement d’enseignements universitaires, et dans quelles
proportions ? (ii) Ou bien de les proposer en auxiliaires de
l’enseignement « oral » usuel, au même titre que d’autres outils
numériques en cours depuis longtemps (power
point, podcasts, moodle, cours en ligne)? On entend les
deux sortes de réponses. Madame le Ministre Geneviève Fioraso jure ses grands
dieux qu’il ne s’agit pas de substituer à l’Academia
traditionnelle (celle de Platon, excusez du peu) un nouveau modèle ni de
remplacer uniformément les enseignements « présentiels » existants
par des MOOCs :
« Si je suis d’accord pour
réduire, surtout en 1ère année, les cours en amphi, je ne partage pas ce point
de vue. Ni l’écriture, ni l’imprimerie n’ont fait disparaître les rapports
humains dans la transmission des savoirs. A l’inverse, elles les ont
enrichis : ces changements de paradigmes se sont accompagnés de plus
d’échanges, de mobilité, de rencontres, d’ouverture. L’Académie de Platon reste
une référence essentielle et intemporelle” (http://www.france-universite-numerique.fr/france-universite-numerique-construire-l-universite-de-demain.html
Mais l’idée lui traverse quand même
l’esprit qu’on puisse supprimer un certain nombre d’enseignements de premiers
cycles et les remplacer par des MOOCs, et la pression budgétaire ne peut que
chuchoter à l’oreille des dirigeants cette solution à des difficultés
endémiques. Un éditorialiste du Point lui prête cette intention et un blog lyonnais se fait l’écho de cette hypothèse très réaliste :
« Car dans les études poursuivies
sur un campus universitaire, qu’est-ce qui coûte cher ? Les frais de scolarité
sont de 183€ pour un étudiant de licence, 254€ en master et 686€ en écoles
d’ingénieurs publiques. Une paille au regard des frais liés au logement et au
transport, qui forment la plus grosse part du budget étudiant, ainsi que le
confirme la dernière étude de l’UNEF. Or ce sont précisément ces dépenses-là
que l’on évite dans un Mooc… »
Autrement dit : laissons les
étudiants de premier cycle (ou une bonne quantité d’entre eux, et peut –être
même ceux de second cycle) à la maison, et libérons les campus pour n’y accueillir
que ceux qui sont prêts à ….mais à quoi, au fait ? A aller sur le campus
suivre des accompagnements de MOOCs ? On devine que c’est plutôt : à
rester chez eux. Ce qui est envisagé semble donc une généralisation de
l’enseignement à distance.
Que deviennent alors les campus ?
Des lieux où les étudiants trouveront encore d’autres MOOCs, mais cette fois
sans un environnement plus « présentiel » ? Ou bien à des lieux
où l’on ne donnerait plus qu’un enseignement sans MOOCs ?
On devine donc que certains responsables universitaires sont prêts à
s’engager dans la première voie (i), d’autres la seconde (ii) seulement. Le
plus vraisemblable est qu’il aura (iii) un peu des deux.
2)
Les MOOCs
sont une excellente vitrine, mais du même coup ils risquent de devenir, pour
beaucoup d’établissements les principales vitrines, et il est très probable que
c’est là que se joueront les réputations pédagogiques d’un certain nombre
d’établissements. Toutes les universités ne seront pas égales dans cette
course, et surtout est-ce que c’est désirable ?
3)
Les MOOCs
sont supposés gratuits. On devrait pourtant se méfier systématiquement de cet
argument. Mais on envisage aussi, à terme, après avoir lancé le ballon d’essai,
de les rendre payants. On se doute bien que ce n’est pas par philanthropie que
les plateformes comme Coursera et autres les mettent place et les diffusent.
Ils peuvent rapporter gros, mais ils peuvent coûter gros. En argent, puisque
manifestement seules les plus grandes universités US sont dans la course, et en
Europe les établissements qui, comme l’EPFL et l’Ecole polytechnique ont des
reins financiers solides. Le Ministère a débloqué 12 millions d’euros. Est-ce
suffisant ? On a fait des calculs, et de fait ce n’est pas donné. Les MOOCs sont également coûteux en temps. Il
faut pour chaque séance une bonne dizaine d’heures de préparation, de la
technologie, des départements universitaires dédiés, etc. Est-ce que chacun
enseignant aura les temps de s’y consacrer, et si les MOOCs deviennent
obligatoires (voie (i) ci-dessus) on peut penser que cela alourdira énormément
le travail des enseignants (alors que les MOOCs sont supposés leur libérer du
temps pour leur recherche !). Très vraisemblablement cette contrainte
conduira à la solution mixte (iii).
Voici quelques autres
objections plus substantielles
4)
Pédagogiques Tels qu’ils sont actuellement présentés, les MOOcs ne représentent que peu
d’innovation pédagogique par rapport au cours magistral. La plupart sont comme
des cours d’amphis filmés, donnés par un ou deux enseignants, voire plus, avec
plus ou moins de mise en scène. Certains alternent divers modes de présentation
magistrale avec des séquences interactives, des quizz, des forums etc. Mais ils
sont, malgré les efforts de leur promoteurs, très formatés, comme peuvent
l’être les séries télés et les journaux télévisés. On me dira que les
enseignements traditionnels aussi. Mais j’avoue préférer malgré tout enseigner
avec la possibilité de bafouiller, de montrer à différents moments mon hésitation,
et pouvoir capter les signes positifs ou négatifs de mon auditoire, revenir en arrière sur que je dis, en dire
plus dans la séance suivante, que de devoir me comporter sur un schéma
préformaté (quiconque enseigne comme moi sur power point sait combien c’est souvent énervant, et tout le monde a
assisté à des présentation power point
où l’enseignant court derrière ses diapos minutées de manière infernale). Or enseigner
a toujours été un exercice semblable à la conduite automobile : il y a des
moments où il faut accélérer, d’autres où il faut aller au pas, d’autres où il
faut stopper et mettre au point mort. On ne voit pas comment c’est réalisable
dans un cours préformaté, aussi bien fait soit-il. L’enseignement tel que le conçoivent de
nombreux enseignants traditionnels ressemble bien plus au théâtre qu’au cinéma,
et encore plus à l’improvisation musicale qu’au clip vidéo ou à la figure
imposée. Nombre d’acteurs et de musiciens confessent aimer avoir le choix entre
les deux. Si un professeur ne peut plus improviser, varier les vitesses, quelle
sorte de métier est-il supposé faire ? Quel degré de liberté va-t-il
demeurer à l’enseignement ? Celui de « l’accompagnant » ? Va-t-il se faire commentateur de MOOCs
produits par d’autres, ou de ses propres MOOCs ?
L’innovation principale est l’existence,
dans les MOOCS, de FAQ, forums, et séquences dans lesquelles les étudiants
discutent entre eux de tel ou tel point. Cela est supposé introduire le « peer learning ». Ce sont des
démarches que nombre d’enseignants qui usent de présentations power point, de films, et qui mettent
leurs enseignements sur des plateformes comme moodle, ont déjà depuis pas mal de temps. Il ne me semble pas
évident, dans nombre de cas, qu’il y ait une nouveauté des MOOCS par rapport à
d’autres formes de télé-enseignement ou d’enseignement en ligne. Selon de nombreux pédagogues, le peer learning est bien meilleur que
l’enseignement magistral (voir une excellente présentation de Peter Gardenförs
sur ce sujet . C’est possible, mais
ce n’est pas évident pour tous les sujets. Le plus gênant est l’usage de ce peer learning pour évaluer et valider les apprentissages
(voir ci-dessous).
J’avoue ne pas voir de meilleurs arguments
contre les MOOCs en général que ceux que Pamela Hieronymi a donnés depuis plus
d’un an dans the Chronicle of HigherEducation : ,
Aussi
bonnes les technologies soient-elles pour certains apprentissages élémentaires,
elles ne peuvent remplacer l’interaction entre étudiant et professeur qui est
la base de l’enseignement traditionnel : la capacité à discerner de la
part du second comment le matériau est appris, comment il s’y relie,
l’encourager ou le contester, et la capacité de la part du premier à mettre le
second au défi d’expliquer mieux , à revenir sur son propos, éventuellement à
le déstabiliser, et la nécessité pour les deux à s’exprimer plus clairement. Dans
les humanités, c’est la base de l’enseignement. Dans les séminaires avancés
encore plus.
Plus ennuyeux, les études actuelles sur les MOOCs
montrent que leur taux de réussite est un moindre que celui des enseignements
classiques, et que le taux d’abandon est élevé ( on me dira que les étudiants
en chair et en os eux aussi quittent assez vite les amphis, qui n’ont pas le
même taux de remplissage à la rentrée et en fin d’année, et on sait combien en
France le taux d’abandon en première année est élévé ; mais est ce que les
MOOCs vont améliorer cette situation ou bien la cacher ?) Les taux doivent
aussi varier selon le niveau antérieur des « apprenants » (beaucoup
de MOOCs pour le moment semblent des introductions). Les résultats et les
vertus éducatives des MOOCs varient aussi énormément selon les disciplines.
Recevoir un cours de sciences ou de technologie sur MOOCs n’est pas la même
chose qu’en recevoir un dans les humanités.
Tout le monde admet que les MOOCs
marchent mieux s’ils sont complétés par des séances avec des enseignants
« pour de vrai », qui reprennent en plus petit comité, les questions
du MOOCs. Est-ce que ces enseignants sont les enseignants même du MOOCs ou des
assistants ? Dans la première option
est-ce que l’enseignant du MOOC va devenir l’assistant de son propre
MOOC ? Ou bien est-ce que ce sera un autre enseignant que celui du
MOOC ? Dans la second option on ne voit pas trop la différence avec
l’actuel système des TP (quand il marche, car dans de nombreux enseignements
des humanités, la différence cours/TP est non respectée). Dans le premier, si
le projet est, comme le suggèrent certains « changer de posture, à devenir
un accompagnant”, pour aider les apprenants à apprendre à apprendre » , est-ce que l’on ne va pas se retrouver dans une
situation semblable à celle de ces enseignants de San José State University où les
enseignants locaux se sont vus signifier l’obligation de devenir des assistants
du MOOC piloté à partir de Harvard , ce qui a conduit l’université à faire
une « pause » dans son recours aux MOOCs? Va-t-on demander aux enseignants
de petites universités de se faire accompagnants des MOOCs bien achalandés des grandes ? Même les
mandarins d’avant 1968 (que sans doute les actuels promoteurs de MOOCs n’ont
jamais connus, même si l’histoire se répète) n’avaient pas rêvé d’un tel empire.
En fait
dans la plupart des cas, les MOOCs diffèrent peu de manuels sous forme vidéo ou
podcast. Mais tout enseignant sait que ce n’est pas la même chose de faire lire
à sa classe ou à son amphi un manuel, et d’enseigner vraiment. Le second
demande, dans la plupart des disciplines
que les étudiants puissent, à un moment donné, interrompre le professeur,
lui poser des questions, le faire revenir sur ce qu’il a dit, et que ce dernier
puisse avoir le droit de se corriger, et de revenir aussi sur ce qu’il a dit ,
et qu’ils puissent rencontrer le
professeur, dans les conditions
optimales individuellement, au moins dans de petits groupes. Quand on nous
vante le fait que certains MOOCs regroupent des centaines de milliers
d’ »étudiants », on se demande comment ces conditions peuvent être
réunies. Elles ne le sont sans doute pas et les innovations pédagogiques ne peuvent
être efficaces que moyennant des moyens que leurs promoteurs n’ont pas.
A cela s’ajoute une autre difficulté
pratique dont très peu parlent: le MOOC est supposé accessible à plus de
10 000 étudiants ( ou plus , des millions, nous promet-on), et si le MOOC
est assorti d’équipe d’assistants
« accompagnants »
destinés à le faire passer sur ce qui restera des campus comment va-t-on
pouvoir assurer des groupes « en présentiel » ? Qui peut espérer qu’un MOOC de 10000
« étudiants » soit « accompagné » d’animateurs pour des
groupes de moins de 15 personnes ? L’enfer des TP est encore avec nous.
Tel que l’enseignement universitaire
est encore à ce jour conçu, et quand bien même cela fait des lustres que ces
droits ne sont pas respectés, il y a deux principes absolus de l’Academia, même
celle de Platon cher à la Ministre :
le premier est que tout étudiant a un droit à avoir accès à son professeur, et
le second qu’il a le droit à être évalué par lui. Or les MOOCs, doucement mais
sûrement, sont en train d’éroder ces principes fondamentaux. Un étudiant
mécontent d’un MOOC peut certes cliquer sur un autre – tout comme aujourd’hui
un étudiant peut zapper un cours et aller à un autre – mais s’il veut
rencontrer l’enseignant celui-ci a le devoir de lui répondre (y compris sur
l’e-mail). Avec le MOOC, c’est loin d’être évident ! Et si la validation
se fit « par les pairs » (voir ci-dessous) comment l’étudiant
pourra-t-il demander à ce qu’elle soit révisée, contestée ? Dans les
universités actuelles, il y a des commissions pédagogiques, qui instruisent des
requêtes d’étudiants, par exemple qui ont raté les examens pour une raison ou
une autre. Si on a affaire à un MOOC, l’étudiant devra-t-il s’adresser à ses
« pairs » (lesquels seront peut-être d’un jour) ? Qu’auraient
dit les hôtes de l’Académie de Platon si on leur avait dit qu’il n’ont pas
accès à la discussion avec Platon, Xénocrate ou Arcélisas ?
5)
Sur la
validation. Les MOOCs actuels
ne délivrent pas de diplôme, et il ne semble pas y avoir de crédits officiels .
On admet donc qu’ils ne remplacent pas l’éducation universitaire classique.
Mais la situation peut évoluer très rapidement. Certains diplômes peuvent se
voir décerner en partie sur la base d’évaluations sur MOOCs, d’autres vont
peut-être émerger comme des diplômes de deuxième catégorie, puis peut être se
hisser jusqu’à des diplômes validés par les universités. Mais quelle
entreprise, quel cabinet d’avocat, quelle université va offrir un job à
quelqu’un dont le diplôme aurait été obtenu par peer evaluation ? Monteriez-vous dans un avion dont le pilote
a obtenu son brevet sur un MOOC ?
La notion même de « pair » reste floue : est-ce que les
pairs sont les étudiants ou les quidams qui suivent le cours avec vous, ou bien
est-ce que ce sont des étudiants plus avancés qui font avec vous les exercices,
et vous « tutorisent » ? Dans un cas comme dans l’autre, et même
si les deux sont réunis, est-ce que ce sont les validations obtenues sur cette
base qui vont donner les notes et le diplôme ?
6)
J’ai déjà
posé la question de savoir si les MOOCs sont réellement gratuits. Sont-ils, comme
aiment le répéter leurs promoteurs démocratiques, voire introduisent une
démocratie mondiale en matière d’éducation ? On peut très
sérieusement en douter. Ils ne sont accessibles que dans les lieux où l’accès à
internet est possible et aisé. Peut-être vont-ils favoriser, par exemple en Afrique, le
développement d’internet. Mais dans d‘état actuel des choses lieu principal
public est celui d’étudiants ou de publics déjà familiers de l’enseignement
universitaire et appartenant aux couches déjà cultivées de la population. Les
plus grandes pourvoyeuses de MOOCs sont les grandes universités américaines
riches. On peut bien sûr envisager qu’une petite université émerge, via ses
MOOCs, sur le marché, et concurrence les grandes, mais c’est peu probable. Quoi
qu’il en soit il y a déjà une concurrence entre les plateformes. FUN du
Ministère français offre moins de cours que les plateformes privées comme
Coursera. (on notera aussi que l’Ecole
Polytechnique fait héberger ses MOOC à la fois par FUN et par coursera, alors que l‘ENS Ulm ne figure
pour le moment que dans la seconde plateforme). Est-ce qu’on a affaire à une
guerre à la gratuité ? Quoi qu’il en soit les MOOCs favorisent la
businessisation de l’enseignement supérieur : l’enseignement supérieur
avec eux entre en plein dans le marché (c’était déjà le cas, mais cela le
devient). Ils vont accentuer la différence entre les universités riches et les
pauvres. Dans un système comme le système américain, rien de surprenant, c’est
business as usual. Mais dans les systèmes universitaires publics comme celui
présent en France où en principe tous les diplômes son supposés égaux?
7)
Quelles sont
exactement les conditions financières et de copyright ? Cela semble pour
le moment assez confus. Les auteurs de MOOCs donnent ils le copyright à leur
établissement, qui le donne ensuite à la plateforme ? Quels sont les
droits de transfert ?
8)
La voie moyenne :
l’hybridation. Face à ces objections, pour la plupart assez
prévisibles, un grand nombre de promoteurs de MOOCs, comme l’EPFL, mettent
l’accent sur le flip teaching, qui
combine MOOC virtuel et « présentiel ». On utilise alors le MOOC
comme un support ou auxiliaire pour un
enseignement en « présentiel », selon des modalités variées. Je n’ai
aucune objection à cela. Je ne suis pas un luddiste qui se plaint de ce qu’on
lui vole son job. Je fais depuis plus de 10 ans, comme une masse d’enseignants,
des power points qui figurent sur des plateformes de cours dans presque tous
mes enseignements, qui sont souvent sur podcast
, j’utilise moodle comme nombre de
mes collègues (même si je ne trouve pas cela toujours très commode, et ai
constaté que plus j’utilisais ces techniques, plus cela vidait mes salles de
cours). Le problème est de savoir quelles vont être les proportions du
présentiel et du virtuel, et quel va être le rôle des enseignants dans une
telle configuration. Il est assez évident qu’à partir du moment où l’enseignant
ne disparaît pas dans les flip courses l’effet de masse du MOOC
supposé se répandre à travers le monde diminue, car s’il faut organiser des
enseignements en présentiels d’accompagnement ou de support, quelle sera
l’économie réalisée ? Est-ce que le MOOC sera comme le manuel que l’on
utilise comme outil au service de l’enseignement, ou bien est-ce que ce seront
les enseignants qui seront ses outils à son service ? Casati (op cit) remarque qu’alors que le
problème avec l’Intelligence artificielle il y a deux décennies était de savoir
si elle pouvait égaler l’intelligence humaine, on ne se pose plus du tout cette
question : c’est nous qui devons-nous mettre au diapason des robots, nous
adapter à leurs diktats. Quelle place dans
un monde universitaire dominé par les MOOCs pourra demeurer pour les
improvisations, les approfondissements, les variations de rythme et de contenu
qui font l’enseignement vivant ? On nous dit que l’enseignant pourra, avec
les MOOCs, se consacrer plus agréablement à sa recherche et à ses chères
études. Mais s’il doit aussi enseigner par MOOC, compte tenu du temps que cela
prend pour en monter un, ne perdra-t-il pas ainsi le temps qu’il était supposé
avoir gagné ? A moins que les MOOCs n’envahissent aussi la recherche et
qu’on nous demande aussi de publier sur MOOC nos articles et nos livres,
d’envoyer un MOOC plutôt que d’aller faire une conférence ou participer à un
colloque.
La
question qu’on peut se poser est celle de savoir si le choix est entre MOOC et
présentiel. Ne peut-on avoir du présentiel et de on-line learning , avec les MOOTS ?
Conclusion
Inutile, me dira-t-on, de jouer
les Cassandre, on verra bien si les MOOCs s’imposent. Vont-ils démocratiser
l’enseignement supérieur ? Vont-ils inverser la tendance actuelle (aux US)
qui fait que le personnel d’administration des universités a depuis vingt ans
augmenté de près de 40% alors que le personnel enseignant a dans la même
période baissé de près de 20% ? Tant qu’à faire, et pour inverser cette
tendance, pourquoi ne pas MOOCquer l’administration pléthorique avec les MOOA (
massive online administration : dossier d‘étudiants automatisés, diplômes,
attestations etc ). Cela sauverait plus d’argent aux universités que laréduction du nombre d’enseignants
Une chose est sûre en
tous cas : ils donnent des jobs à ceux qui les fabriquent. Avec fierté,
les promoteurs de MOOCs nous disent que l’université traditionnelle va se voir
supplantée par l’université virtuelle, et que la première disparaîtra comme la
General Motors des années 60 a disparu à Detroit, pour être remplacée par une
entreprise décentralisée et plus performante. De fait nombre de campus de par
le monde ressemblent déjà aux quartiers dévastés de Detroit.
Le grand choix, répétons-le, est celui de
savoir jusqu’à quel point ils seront supposés remplacer les enseignements
existants. Mais même à supposer qu’ils le fassent seulement très peu, ces
technologies pèseront de plus en plus sur les conditions de l’enseignement universitaire.
[1] Je regrette qu’on ne puisse les désigner de cette manière sanantoniesque ou
audiardesque de « Mouques », puisqu’apparemment en français cet anglicisme littéral de « MOOC » semble à présent
prévaloir, après d’infructueuses tentatives de les appeler des CMELLs à
l’instar des promoteurs de l’EPFL, qui ont fini par les appeler des MOOCs quand
même.
Je ne suis pas d'accord avec vos plupart de vos objections, mais je n'y connais, après tout, rien. Une remarque pourtant :
RépondreSupprimerTels qu’ils sont actuellement présentés, les MOOcs ne représentent que peu d’innovation pédagogique par rapport au cours magistral.
Mais l'internet (l'économie?) est plein d' "innovations" qui ne sont que des incréments. Passé un seuil, ça clique, et une cascade de nouveaux usages apparaissent. Même si, dans le cas des COL (COurs en Ligne, c'est bien mieux, c'est de moi) on y voit encore rien, coté usage, cela reste, à mon avis, le bon bout de la lorgnette.
Si vous n'êtes pas d 'accord, je serai ravi de savoir pourquoi..
RépondreSupprimerQuand je dis que les MOOCs présentent peu d'innovations pédagogiques, je veux dire que la plupart sont construits sur le principe d'un enseignant ou deux qui parlent devant un public pour délivrer un savoir. L'innovation principale est le peer learning introduisan des questionnaires, quizz, et une validation par les "peers". Mais je dis aussi ce que j'en pense dans le texte.
"COL " est amusant , mais je n'ai pas le pouvoir de le faire breveter !
" Casati (op cit) remarque qu’alors que le problème avec l’Intelligence artificielle il y a deux décennies était de savoir si elle pouvait égaler l’intelligence humaine, on ne se pose plus du tout cette question : c’est nous qui devons-nous mettre au diapason des robots, nous adapter à leurs diktats. "
RépondreSupprimerJe ne sais pas si Casati se réfère à Günther Anders mais dans L'obsolescence de l'homme (le titre allemand est plus clair, je crois : Die Antiquiertheit der Menschen, le fait que l'homme est démodé, vieillot), le philosophe viennois appelle honte prométhéenne la conscience que nous prenons de notre "incapacité à rester spirituellement "up to date" par rapport au progrès de notre production" (p.30)
Or s'adapter aux diktats des robots, c'est-à-dire ne pas mettre les robots au service d'une idée rationnelle de l'éducation mais appeler éducation rationnelle une pratique qui appelle éducatives toutes les possibilités ouvertes par les robots, c'est en un sens succomber à tort à cette honte prométhéenne.
Anders est clair sur ce point : " si les instruments sont les "adultes", laisser derrière soi son "enfance" et "l'éducation du genre humain", cela signifie laisser derrière soi son humanité. Or, pour le moraliste qui ne peut se résoudre à faire son deuil de l'idée de l'homme, il est évident que cela mène tout droit à la catastrophe." (p. 59).
Sans tomber dans ce que certains pourraient juger un catastrophisme (Anders aimait dire qu'il avait pour principe : "inquiète ton prochain comme toi-même !"), ayons l'audace d'être moraliste face à tous ces experts et techniciens de l'éducation...
Non il ne se réfère pas à Anders. Mais il nous donne des instructions pour continuer à lire. Cela dit Anders n'avait aucune idée de ce qui nous attendait, et nous attend. Mais j'espère être assez clair sur le fait que je ne suis pas un humaniste crispé sur mes in-folios. Je suis pour les robots. Mais à condition qu'ils soient à ma botte et sachent tenir leur rang. Je les considère comme Aristote les esclaves.
SupprimerD'accord, mais que votre attitude n'annonce pas un futur mouvement de libération des robots (après les animaux, les machines...)
RépondreSupprimerMais ils ont déjà commencé à se révolter ! Ils sont là ! C'est la Guerre des Mondes ! Farenheit 451 ! Certains de ces robots se réclament déjà de Spartacus, de Toussaint Louverture , des Zumbi ! Mais Spartacus, Toussaint, et Zumbi étaient des humains, méfions nous des robots usurpateurs et encore plus des humains qui se réclament d'eux!
RépondreSupprimerI, for one, welcome etc...
RépondreSupprimer