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mercredi 5 juillet 2017

transitivité des préférences

préférence absolue



                              « Bartali prie en pédalant. Coppi, rationaliste, cartésien, sceptique et pétri de doutes, ne croit qu'au moteur qu'on lui a confié : c'est-à-dire son corps », Malaparte 





      A priori, on devrait être cohérent dans ses choix: si l’on préfère Hector à Achille, et Racine à Corneille et Voltaire à Rousseau, Beckett à Ionesco, les Rolling Stones aux Beatles, par exemple, on devrait préférer Callas à Tebaldi, Coppi  à Bartali, et Poulidor à Anquetil, de même que Bardot à Sophia Loren, Buster Keaton à W.C. Fields et Hedy Lamar à Linda Darnell. De même si l’on préfère Horace à Virgile, Wagner à Verdi, la rive gauche que la rive droite,  on devrait préférer le Bourgogne au Bordeaux, Russell à Wittgenstein  et Aron à Sartre. Mais il m’est arrivé de proclamer que je choisissais le premier terme de ces oppositions qui structurent nos vies, par exemple  Parménide plutôt qu’Héraclite, Aristote plutôt que Platon, Coca que Pepsi, Ravel plutôt que Debussy, Stendhal à Balzac et de me retrouver préférer la Bretagne à la Côte d’Azur, La Sorbonne au Collège de France, Lewis à Kripke, la bavette à l’entrecôte, le bâtard à la flûte, le violon au piano, et les sardines aux maquereaux, Bibi Fricotin aux Pieds Nickelés. Serais-je incohérent dans mes choix ? Mais les psychologues du choix rationnel et de la décision ont montré depuis longtemps que nous violons régulièrement la transitivité des préférences. Cela se comprend quand nos préférences sont sentimentales ou gustatives, comme quand on aime mieux les nichons de Martine Carol que ceux de Audrey Hepburn , le Bandol rouge que le Bandol rosé, la pizza capricciosa que la pizza Vesuvio,Perrier que San Pellegrino mais quid des préférences raisonnées, celles qui engagent nos existences spirituelles profondes, telles que la raison à l’irraison, Kant à Hume, Cauchy à Gauss, les Jacobins aux Girondins, le blues au rock, Reynolds à Gainsborough, Poussin à Watteau, Goethe à Schiller, Jarry à Dada ? Que se passe-t-il si ayant adopté ces préférences je me retrouvais préférer Danton à Robespierre, Hoffmansthal  à Kraus, Little Richard à Robert Johnson, Gibbard à Parfit et Britten à Elgar ? On serait en droit de m’accuser d’incohérence, et on pourrait me faire des paris hollandais. Pire, je serais déconsidéré.Les relativistes de tout poil n'y verraient pas malice, mais moi si. Là où Barthes voyait des mythologies ( cf son commentaire de Bartali-Copi) et les sociologues des valeurs sociales, moi je vois des valeurs absolues, dures comme le roc. L'opposition Bartali/ Coppi est métaphysique. Le destin de la raison, que dis-je, du monde,  s'y joue.C'est pas affaire de sémiotique ou de sociologie. Cela veut dire que si je préfère Coppi à Bartali, je m'en tiendra là. Et que si je préfère Martine Carol à Audray Hepburn aussi. Mais cela ne remet pas en question ma préférence absolue pour Gina Lollobrigida

    

27 commentaires:

  1. Faut-il choisir entre Parfit et Gibbard? Ils disent pourtant être d'accord sur l'essentiel. https://global.oup.com/academic/product/on-what-matters-9780198778608?cc=fr&lang=en&#

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    1. Certes au plan de l'éthique normativ, mais pas au plan métaéthique. L'un est réaliste, l'autre expressiviste. Il faut choisir.

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  2. La logique de la transitivité des préférences demeure assez floue. C'est vrai dans le cas des dames du cinéma, pendant le baby-boom et la Reconstruction. Dans le sport cycliste, on ne comprend pas pourquoi on préfère Coppi à Bartali, tandis que l'on préfère Poulidor à Anquetil. Celui-ci était un double de Coppi. Quand on les opposait à leurs rivaux respectifs, c'étaient : le Nord contre le Sud, l'entreprise contre le monde paysan, la liberté de mœurs contre la fidélité conjugale, l'addiction aux amphétamines contre la souffrance stoïque.
    D'ailleurs, on pourrait aussi se demander pourquoi on préfère toujours le vélo à la moto.
    Personnellement, pour faire un choix métaphysique, je ne m'appuierais pas sur Malaparte, que j'ai lu (même sa Technique anarcho-fasciste du coup d'État). On a dit de lui que c'était un écrivain des idées. Je le tiens plutôt pour un formidable poète.
    Comme Julien Benda, avant de mourir, il se fit communiste.

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  3. Dans le cas d'Anquetil / Poulidor le ressort n'est pas l'origine sociale ( Bartali était un paysan toscan, Coppi un fils d'ouvrier piemontais)car ils étaient tous deux fils de paysans. On aurait du aimer Anquetil parce qu'il gagnait , bien que pas avec le panache de Coppi: Anquetil n'avait pas l'air de faire trop d'efforts. Mais comme vous le savez on aime Poupou à cause du fait qu'il perdait, sans pour autant renoncer. Et l'on préfere le vélo à la moto parce que le vélo c'est fatigant, meme avec de l'EPO plein le corps. Donc la raison des préférences est le sens de l'échec et de la douleur, une conception très chrétienne qui nous reste même quand les églises sont devenues vides. quant à Malaparte, malgré sa maestria, il avait parfaitement compris le sens métaphysique de l'opposition Coppi / Bartali.

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  4. Pour Anquetil et Poulidor, il s'agit de deux mondes agricoles différents. Le père de Maître Jacques était un maçon normand qui se reconvertit dans la culture des fraises pendant la Guerre. C'était l'agriculture, plus le génie de l'entreprise. Le monde agricole de Poulidor, c'était la Creuse, où on laboure des terres caillouteuses à faible rendement, sans espoir de rien.
    Pour Fausto Coppi, sa fin de carrière fut un véritable chemin de croix. Il aurait dû arrêter le vélo, mais il continuait. Il multipliait les chutes et il se cassait tout. Il se dopait et il le reconnaissait. D'ailleurs, on attribue la cause indirecte de sa mort au dopage.
    Le monde des sponsors intéressait moins Bartali que Coppi, qui avait besoin de beaucoup d' argent.

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  5. çà, cher ami, c'est la réalité , mais rappelez vous le journaliste dans The man who shot Liberty Valance : "print the legend"

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  6. Au risque de paraître audacieux, je me permettrai d’aller plus loin en disant que dans l’affaire, le véritable philosophe n'était ni Coppi, ni Anquetil, mais que c’ était Raphaël Géminiani, le directeur sportif de Maître Jacques.
    Géminiani tient encore un discours qui a de lourdes implications ontologiques. Il est toujours le seul à n’avoir jamais vu ce que tout le monde a vu. Il y a chez lui une sorte d'immatérialisme ou de vision en Dieu. Dans « Le Chagrin et la Pitié », il avait plongé la France entière dans la stupéfaction en disant que, pendant la Guerre, il n’ avait jamais vu d'Allemands à Clermont-Ferrand. De même, dans son livre de souvenirs, il affirme que pour le dopage, il n’ a jamais su ce qu’ Anquetil prenait, tout en lui disant de faire attention. Raphaël Géminiani, que le milieu cycliste appelle le Grand Fusil, a un tel pouvoir de flinguer la réalité, qu’il donne le vertige et qu’ il nous ferait douter de l'existence du monde.

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  7. Je suis d'accord sur le rôle de Gem. Quand je lisais "Les pieds nickelés font le tour de France"(Pellos 1958) son empire sur le Tour était accentué. Croquignol, Ribouldingue et Filochard , qui se faisaient appeler respectivement Faust Ocoppi, Hugues Okoblet et Louis Zonbobet , avaient affaire à Gem.

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  8. C’ est sur le plan architectural que Malaparte eut affaire au rationalisme. Il commanda les plans de sa Villa de Capri, où sera tourné « Le Mépris », au célèbre futuriste Adalberto Libera, architecte rationaliste qui s'appuyait sur la théorie de Vitruve pour célébrer la beauté classique de la Vérité et de la Raison. En France, nous avions déjà eu un néo-classicisme révolutionnaire, qui sera le sujet du film de Peter Greenaway, « Le Ventre de l’ architecte ».
    Néanmoins, Malaparte ne suivit pas les plans de Libera, qui lui servaient surtout à obtenir un permis de construire. Il en fit un monument fou, surréaliste et païen, qui allait inspirer pendant longtemps de nombreux artistes. Il considérait sa Villa comme une sorte d'autobiographie.

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  9. J'avoue que, malgré mes choix doctrinaux, je ne suis pas super fan de l'architecture rationaliste. On s'extasie face à la maison Wittgenstein à Vienne, mais j'avoue qu'elle ne m'a jamais impressionné. En revanche les villas de Palladio en Vénétie, ou la cité idéale de Piero della francesca, me vont. La villa de Malaparte vaut surtout par son nid d'aigle. tansposée dans la banlieue de Milan elle passerait inaperçue. Et puis Capri....

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  10. " Mais cela ne remet pas en question ma préférence absolue pour Gina Lollobrigida "

    Cela a de quoi intriguer, pourquoi Gina?
    Pourquoi avoir employé le terme " nichons "
    A savoir que la poitrine de Gina eu tellement de succès populaire que l' on donna même le nom d' un ( plusieurs ) fromage en son honneur, celui de lolobrie..
    Il est vrai que dans nichon, il y a niche, nid où l' on tète toutes les forces de la raison de vivre?

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    1. désolé de vous avoir choqué en usant d'un vocabulaire légèrement vulgaire; mon excuse est que le goût pour les les attributs de Martine Carol et de Gina Lollobrigida ne suscitent pas des désirs très raisonnés, à la différence de notre goût pour Parfit ou pour Kant. Je vous renvoie à Ramon Gomez de la Cerna, Senos.

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    2. Il y aurait à dire sur ces dames du cinéma, qui avaient la suprême élégance de se faire passer pour moins intelligentes qu’ elles n’ étaient, et qui ont occupé les pensées des piliers de ciné-club.
      Puisque Stanley Cavell est venu au Quartier Latin, nous avons du secours pour trouver le film qui est derrière tout cela. Sans nul doute, c'est « Les Belles de nuit » de René Clair, qui magnifiait la beauté de Martine Carol et de Gina Lollobrigida, et où la belle Italienne était Leïla, la plus sublime des danseuses orientales dans les rêves coloniaux du héros du film. C’ est d’ ailleurs toute l’Histoire qui défilait dans ses aventures oniriques, sous-tendues par une philosophie des Âges du monde et de la cristallisation du temps. Gina, c'était la traduction du divin dans l’humain.

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    3. Epargnez nous le faiseur Stanley Cavell, qui ne s'intéresse qu'à Hollywood et ignore tout de René Clair , de Max Ophuls, de Clouzot, de George Franju, et avait encore moins d'intérêt pour Autan Lara ou chistian Jaque, ou même pour Truffaut , à la différence de Wes Anderson , qui aime beaucoup Truffauf et Godard . Martine Carol fut très bonne dans Lola Montes, moins ailleurs. Mais elle permit à toute une génération de filles de s'appeler Martine , de même que tous les garçons s'appellent Patrick .

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    4. Pour Martine comme pour Gina, le problème était le même. Les metteurs en scène ne savaient trop que faire d’une pin-up, à part déconstruire sa mythologie. Il fallait avoir l’ imagination et la merveilleuse fantaisie d’un René Clair pour lui trouver un rôle intéressant.
      Pour elles, il y avait surtout les personnages historiques et littéraires, avec des artisans ou des gloires oubliées du cinéma, dans ce que l’on appelle des nanars bien bourrins. Pour Martine, il y a l’exception éclatante de Max Ophüls, ce cinéaste de la décadence que la Nouvelle Vague admirait, et qui fut intéressé par cette étoile filante, un peu fêlée, avec des problèmes d’alcool et de drogue, qui collait au personnage pathétique de Lola Montès.
      On notera que dans « Le cave se rebiffe », Grangier et Audiard, davantage préoccupés par le grisbi, qui était de la fausse mornifle, semblaient prendre acte sans émotion que l'étoile de Martine avait pâli.
      Pour Gina, à part Comencini et René Clair, qui ont travaillé tout en finesse avec elle, les autres grands du cinéma, comme Carol Reed, John Huston ou King Vidor, ont fait seulement tourner une vedette internationale dans des films à gros budgets.
      Il y a eu aussi le cas de Bardot, dans « Le Mépris ». Godard et la Nouvelle Vague avaient d’elle une image plutôt positive, car elle changeait l’image de la femme. Mais dans sa hiérarchie des préférences, Godard aimait mieux Anna Karina, et il faisait tout pour que Bardot lui ressemble. De même, un baby-boomer devrait plutôt s’extasier devant Jane Birkin, le modèle de la copine qui n'avait pas d'arguments persuasifs ni vertigineux, qui avait gardé le style neutre et unisexe de l’adolescence, et que l’ on emmenait chanter autour d’un feu de bois.

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    5. oui y avait pas trop de choix . Mais non !on avait Anouk Aimée, Francoise Dorleac, bernadette Lafont , Francoise Fabian , et on n'etait pas obligé de se taper George Marchal , ni Belmondo , on avait Charles Denner et Trintignant. Alors pourquoi se plaindre ? cela nous consolait du vieux Gabin et de la BCG Danielle Darrieux !

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    6. PS j'ai éé injuste envers Cavell. Dans son livre sur la philosophie des salles obscures, il s'intéresse à Rohmer, et dit qu'il pratique une "sécularisation du transcendantal". Mais Arielle Domsballe n'est pas Martine Carol.

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  11. Un rationaliste devrait préférer le néo-classique Britten au post-romantique Elgar. Mais un danseur néo-classique comme Béjart ne dansa pas uniquement sur la musique néo-classique du dernier Ravel. Il fit aussi un ballet de la "Messe pour le temps présent" de Pierre Henry, le précurseur des Pink Floyd et de tous les DJs. De même, et sans doute sous l'influence de Balanchine, le néo-classique Roland Petit, après avoir commis "Mon truc en plumes", n'hésitera pas à créer la chorégraphie du "Pink Floyd Ballet".
    À mon avis, nous ne sommes plus dans le problème de la transitivité des préférences, mais dans celui de l'alignement de celles-ci. Peut-on être rationaliste en philosophie cognitive et préférer une esthétique post-romantique dans le domaine musical ?

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  12. bonne question. En effet serais je incohérent si j préfère l'architecture rococco (ce n'est pas le cas, mais supposons). Je ne crois, non pas parce qu'en art ce n'est que goûts et couleurs, mais parce que nos raisons d'aimer une oeuvre d'art ne sont pas nécessairement celles qui nous font respecter une action morale ou adopter un raisonnement logique. Ce sont des raisons nonobstant Mais je ne vois pas pourquoi on ne devrait aimer que des tableaux ou des musiques cartésiennes ou kantiennes quand on est rationaliste.

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  13. Savage le sauvage19 juillet 2017 à 18:46

    La dernière phrase de votre billet renvoie plus directement à un problème de complétude des préférences plutôt qu'à un problème de transitivité, vous ne trouvez pas?

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  14. oui, en effet, ou d'exhaustivité. Je voulais dire qu'il y a un point l'on cesse de comparer les préférences, et on 'en tient à ce que l'on préfère le plus. Mais aussi c'est le point où nos préférences cessent d'être relatives les unes aux autres.

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    1. Une préférence absolue est elle toujours une préférence ?

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  15. Il est finalement étrange qu'un ardent chercheur de la vérité avoue une préférence pour une actrice faussement blonde qui trichait sur tout, sa taille, son nez trop parfait, ses attributs féminins survalorisés et en trompe-l'œil, le moteur de son énergie.
    Mais il est vrai que ce billet se clôt sur une préférence absolue pour la rivale - et néanmoins amie - italienne, de cette artiste. La reine de beauté de Subiaco aura su conserver son authenticité pendant toute sa vie.
    Cette punchline est donc aussi épistémique. À la fin, la vérité et la raison triomphent toujours.

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  16. on préfère x à y relativement au trait R et dans un ensemble de préférences non exhaustif. Quand l'ensemble est exhaustif et qu'on préfère en fonction de tous les traits à tout autre membre de l'ensemble, la préférence est absolue

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  17. bonne question. En effet c'est une préférence telle qu'on préfère A à B, ... pour tout B ,... et quel que soit B . C'est une valeur . Mais on parle bien de préférences absolues en logique de la préférence

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  18. En considérant les choix et les préférences de ce billet, on se pose la question de la pertinence du modèle économique des préférences, même si les chercheurs tentent de l'élargir à de nouveaux biens et services.
    Ici, on est en présence de préférences déclarées, et non plus révélées par un panier de commissions.
    La théorie économique des préférences s'appuie néanmoins toujours sur les intentions d'achats des consommateurs, en fonction de leur univers de choix. Il y a une valorisation monétaire des attributs déterminant leur demande, qui est au cœur de cette théorie, et qu'il est difficile d'éluder. Les consommateurs ont une sensibilité aux pertes et aux gains, et des réponses comportementales à des contraintes imposées ou libres, avec des seuils d'acceptabilité.
    Dans les préférences de ce billet, il y a des facteurs qualitatifs de l'analyse, des composantes non mesurables de l'utilité, et aussi le problème des préférences excessives, que les chercheurs commencent à peine à étudier.

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