— Drauf so sprach Herr Lehrer Lämpel:
»Dies ist wieder ein Exempel!« —
Tout le monde connaît Max et Moritz, les deux
garnements de Wilhelm Busch, qui font des farces (et s’en trouvent à chaque
fois punis d’une bonne fessée). Leurs aventures furent publiées dans les années
1860. L’une d’elles met en scène un Schulmeister
prétentieux, Lehrer Lämpel. Le contexte scolaire a bien changé depuis cette époque où les
maîtres avaient des férules, mais a-t-il au fond tellement changé ? Si les
châtiments corporels sont interdits sous nos contrées (même si dans certains
pays on aime à fouetter ceux qui pensent mal), n’y a-t-il pas encore des
maîtres à badines symboliques dont les gamins ont bien raison de se moquer?
Daß dies mit Verstand geschah,
War Herr Lehrer Lämpel da. —
Rudolph
Dirks, l’un des premiers créateurs de BD aux USA, s’inspira de Busch pour créer
Les Katzenjammer Kids, en 1897. Ces
derniers, nommés Hans et Fritz, vivent dans une famille allemande émigrée sur
une île improbable, Bongo, gouvernée par un roi fainéant. La famille comprend
leur tante et un capitaine, agissant comme un père de substitution et parlant
un anglais émaillé de germanismes, ainsi qu’un homme à longue barbe blanche, ami
du capitaine, nommé l’Astronome - et une institutrice, Miss Twiddle, transposition de Herr Lämpel. Il y a
aussi un hypocrite blondin nommé Adolphe, sorte d’antithèse de Hans et Fritz, chouchou de l’institutrice, et une petite peste nommée Léna. Les kids passent leur
temps à faire des farces au Capitaine, notamment pendant que ce dernier fait sa
sieste. La série fut traduite en français, où la tante se nomme Pim et les deux
garnements Pam et Poum, Miss Twiddle devient Miss Ross.
— Menschen necken, Tiere quälen,
Äpfel, Birnen, Zwetschgen stehlen —
Das ist freilich angenehmer
Und dazu auch viel bequemer,
Als in Kirche oder Schule
Ces aventures firent les délices de mon
enfance. J’adorais voir le
Capitaine et l’Astronome subir les farces inventives de Pam et Poum, et je
m’essayais moi-même à les imiter avec mes camarades de jeu (ainsi
voyant un jour un vieil homme faire sa sieste sur un lit au soleil du Midi,
j’eus l’idée d’aller lui chatouiller les narines avec des graminées ; pire,
j’allai avec un de mes complices pisser sur les passants du haut de la fenêtre
du premier étage). A la différence de Pam et Poum, je n’ai jamais reçu de
fessée, sauf une fois où j’avais presque mis le feu à une pinède (ma grand mère, une solide protestante camisarde, ressemblait à Tante Pim).
C’est pourquoi, quand j’ai appris que des
garnements avaient fait une niche au Capitaine Badiou, je me suis réjoui que
l’héritage de Pim Pam Poum soit toujours
bien vivant.
Nos modernes Max et Moritz, Hans et Fritz, ou
Pam et Poum, qui sont les philosophes des sciences Anouk Barberousse et Philippe
Huneman, auteurs, et le sociologue Arnaud Saint-Martin, co-éditeur, viennent d’annoncer
(1er avril 2016), dans le Carnet Zilsel [un carnet (et bientôt une revue) qui s’illustre
notamment par l’analyse des impostures intellectuelles, de la fausse science,
des pseudo-intellectuels et, d’une manière générale, de tout ce qui relève des
scories de l’intellect], qu’ils venaient de publier, sous le pseudonyme de
Benedetta Tripodi, dans la revue en ligne BadiouStudies
Ils en ont donné, sur le même site et dans une
video, des commentaires éclairants. cf
aussi
Comme dans le cas d’Alan Sokal et de son fameux hoax dans Social Text, qui déclencha l’affaire du même nom, l’auteur, comme
dans le cas du canular dit Tremblay ou Maffesoli,
où un texte idiot sur l’Autolib parut
dans la revue Sociétés, Benedetta
Tripodi maîtrise le vocabulaire badivin (sit
venia verbo) à la perfection, qui plus est dans ses versions anglophones. Si
son article a été accepté par les lecteurs anonymes (qui garantissent
l’objectivité de la publication : il ne s’agit évidemment pas, on s’en
doute, dans une revue d’une telle qualité, de publier des copains), c’est, on
le suppose, parce qu’il se conforme parfaitement aux objectifs de la
revue :
"Badiou Studies is a multi-lingual, peer-reviewed
journal dedicated to the philosophy and thought of and surrounding the
philosopher, playwright, novelist and poet Alain Badiou. Badiou
Studies is dedicated to original, critical and challenging arguments that
directly engage with the conditions and circumstances of Badiou’s thought. We
aim to identify pertinent intellectual discourses, ideas, historiographies and
concepts, and seek articles that situate these theories within emerging events
in politics, science, art and love. Book reviews, reports of related activities
and experimental texts are also warmly welcome.
Badiou Studies is especially concerned with
maintaining a fidelity to Badiou's thinking without collapsing into hagiography
or celebrity fetishism. This is why we encourage works that actively critique
Badiou's philosophy and his currency as an established philosophical figure.
This engaging approach is warmly embraced by Badiou himself, a member of our
board of editors. Our board comprises international scholars who are
representative of our pioneering approach to research in the field, which is
both radical and widely interdisciplinary."
On
imagine donc qu’Alain Badiou “himself”, membre du comité de la revue, a pu lire
l’article et vérifier qu’il ne tombe pas « dans l’hagiographie et le
fétichisme de la célébrité ». Qui en effet pourrait croire qu’une
revue aux standards académiques si élevés risquerait d’accueillir des articles
complaisants ? On ne peut que constater
que Benedetta Tripodi a écrit un article qui critique Badiou de manière
impitoyable.
Notre auteure affiche d’entrée de jeu la haute
ambition qui est la sienne, tout en s’inscrivant dans la continuité des travaux de
Badiou :
“I will show first
how Badiou’s ontology allows us to capture the logics of the gender difference,
as both an ontological and political process. This makes visible a dialectics
of gendering institutions and dismantling sexual potentialities into neutrality
–parallel to the logics of deterritorializing / reterritorializing made famous
by Deleuze an Guattari (2004) – that pervades both the political capitalist machineries
(Ahmed 2008) and the traditional metaphysics. On these grounds, we will question
the subject of feminism, and show its essential relation with any queer nomination.
The last step to make consists in recognising the limits of a formulation of the
queer potentialities in a Badiousian framework: here, it will appear that the
object of a queer nomination, i.e. the neutrality, calls for a novel re-affirmation
which takes place, in philosophy, under the modes of what Laruelle recently
called “non-philosophie”.”
On notera l’audace qui consiste à juger Badiou au
nom de Laruelle. C’est un peu comme si l’on entendait juger Proclus au nom de
Jamblique. Tripodi sait
aussi parfaitement résumer l’apport majeur de Badiou :
“Mathematics is the
ultimate ontology, and, more precisely, as Badiou emphasised in his theory of the
event, mathematics is set theory (Badiou, 2005, 2009). From now on, all
utterances of a difference, be it ontic or ontological, empirical or
transcendental, should be pronounced from the horizon of the axiomatics of set
theory, and its crucial ontological character that is the centrality of the
void. As Badiou has repeated in his reconceptualisation of set theory, the
empty set, the void, is the basis of the whole construction of sets. The origin
of the set is the null set or the void taken as the set; and then sets can be
achieved by adding this set, one more time, to the void: the centrality of the void
is the major advance made by Cantor when he founded set theory. This crucial rethinking
of mathematics allows a new founding of ontology, conceived of as a pure theory
of multiplicity. The void central to the theory turns out to be the essence of the
manifold and the fullness that is axiomatically conceived of in a theory of multiplicities.
This theory is set theory, and it is Badiou’s giant step in thinking that one
acknowledges this mathematical theory as the true
ontology.”
De
méchantes langues jadis soutinrent que Badiou ne faisait là en un sens que
reprendre la définition de la notion de couple ordonné par Wiener :
où l’ensemble vide est,
comme on le voit, crucial (bien qu'il disparaisse dans la définition de Kuratowski).
D’autres dirent que Badiou avait là emprunté à Lacan, dont il entendit vers
1966 à la rue d’Ulm parler de la définition frégéenne du nombre à partir du
zéro (ce qui faisait dire à Louis Althusser, à qui je dis une fois que
j’étudiais Frege : « Ah ! oui ! Frege ! Le
zéro ! »). Mais ces méchantes langues peuvent régurgiter leur venin.
Car Tripodi établit parfaitement la génialité de l’apport de Badiou :
traiter la théorie des ensembles comme l’ontologie même. Voulez-vous savoir ce
qu’est la prédication? Voyez Cantor. Voulez-vous savoir si l’on doit être
réaliste ou nominaliste quant aux universaux ? Voyez les grands cardinaux.
C’est bien plus fort que Quine : l’être n’est pas juste la valeur d’une
variable, l’être c’est ZF. Comme le dit Charles Ramond, « Chez Badiou,
ainsi, la philosophie tient le même discours que la mathématique, sans qu’on
puisse dire si l’une précède l’autre. »
Il restait à Tripodi à en
administrer la preuve. Les ensembles ne sont pas simplement l’être même. Ils
servent aussi la politique réactionnaire du genre. Le genre, c’est un prédicat
d’un ensemble en extension. Les ensembles rabattent les multiplicités :
"Sets are indeed what gendering
processes by reactionary institutions intend to hold, in contradiction to the
status of the multiplicities proper to each subject qua subject. Being a
“woman”, being a “male” “homosexual”, being an “autistic” “child” is possible
only because it applies the ontologically generative procedures that are
labelled as sets (Irigaray 1993b; Wittig 1976 for a poetic illustration): the
set of “male white homosexuals”, the set of “black children”, etc., each set
being what, through its overlapping and intersections, decides which difference
may tolerate which other difference (Butler, 1993; Sedgwick 1990).
Understanding that ontology is first of all couched as set theory qua theory of
multiplicities allows one to get an insight into those generative procedures
that ascribe subjects their differences and create their gendered nature as
something apparently ontologically founded (Love 2007). Therefore it provides
one with a critical grip onto those procedures. “
Toute la finesse de Tripodi est de voir que cette
mise des ensembles au service de la réaction peut se retourner en une politique
de libération :
“So feminism, as ontological, should have a
subject, which in turn has the resources to be what being-a- woman in itself
is. Or, in better words, it has feminism –as a subject – at the same time (and
in the same move) as it is feminism. This is exactly the procedure that is
allowed to us by Badiou’s theory of the subject, to the extent that it
complements the ontological move explained previously, centring ontology on set
theory. The subject of feminism is precisely the subject to the extent that it
is not belonging to the sets, qua sets of differences, assigning them – the
differences –to individuals and then grounding their belonging to sets (Badiou,
2005). Once it has been clear that logocentrism and phallocentrism are indeed
two sides of the same coin (Irigaray 1993; Kofman, 1985), overcoming
logocentrism through the axiomatic founding of the sets as sets is exactly the
move needed to account for any ontological contestation of phallocentrism.”
L’auteure peut alors conclure avec brio:
"The resources of Badiou’s ontology
for making sense of the event of feminism are therefore innumerable.
Especially, it exposes the logics of the “many” and the “count-as one”, and
captures it as the conceptual space for any arising of the subject of feminism.
This subject experiences a truth that has no name because this truth is
neutral. Such neutrality is instantiated through a genuine queer nomination –
as it has been labelled here – and the prospects of the queer nomination bear
upon politics as well as ontology.This paper explored, finally, the intrinsic
features of this nomination, i.e., of a possibility for neutrality to be
actually experienced as event and invented as truth. It appeared that the
(non)-gender, as effectiveness of the neutral in the field of post-capitalist
gendering institutions, is exactly the instantiation of non-philosophy in the
Laruellian sense, and, at the same time, its revelation. The practical
consequences of this finding should be addressed in another study.”
Comme dans les précédents de
Sokal et de Quinon-Saint-Martin, la démarche procède du difficile saturam non scribere. Si un article aussi grotesque,
répétant simplement à la manière d’un perroquet les lieux communs de la
littérature badivine, et, quand il innove, tombe dans le plus complet non-sens,
fait entièrement de gimmicks,
où les mots utilisés ne servent que de tags,
de jetons destinés à plaire aux lecteurs, a pu passer la rampe d’un comité de
rédaction, cela ne montre-t-il pas que cette revue pratique ce que Susan
Stebbing (commentée ici)
appelle « potted thinking », la pensée toute faite « en
pot », et ce que Peirce appelle sham
reasoning ? Le sham reasoning est
une forme de raisonnement où c’est la conclusion désirée qui gouverne les
prémisses et les étapes menant à cette conclusion, et non pas la vérité.
Benedetta Tripodi ne parvient à sa conclusion établissant la relation entre le
féminisme et la théorie ontologico-mathématique de Badiou à travers le rôle du
« neutre » que parce que c’est là qu’elle voulait aller, et son
article n’est lui-même accepté que parce qu’il étale des conclusions –
nébuleuses mais politiquement transparentes – qui sont celles que les lecteurs
potentiels de la revue veulent lire.
Le rapprochement avec les phénomènes religieux est patent : les gens
croient ce qu’ils veulent croire, et ils le font d’autant mieux que les textes
qu’on leur propose sont eux-mêmes volontairement obscurs, à l’instar des
paroles des oracles, des prêtres, ou des gourous. On ne commentera pas ici la
transposition de cette posture de prophète à la politique, qui est sans doute
l’alpha et l’omega du phénomène badivin. L’article de Tripodi manifeste le fait que
nombre de productions intellectuelles d’aujourd’hui, dont les Badiou Studies et leur inspirateur ne
sont qu’un exemple, montrent que leurs auteurs ont, comme le disait Taine de
Victor Cousin, un rapport essentiellement politique
aux idées. Les idées ne sont pas là pour servir un objectif théorique ou
cognitif, mais essentiellement des objectifs politiques. La réponse appropriée n'est pas l'argument, mais la satire, comme le fit Taine dans Les philosophes français classiques du dix-neuvième siècle (1857). Jacques Derrida, Michel Foucault, Gilles Deleuze et Alain Badiou sont des philosophes classiques de la fin du vingtième siècle, au même titre que Laromiguière, Biran, Cousin ou Jouffroy. L'analogie ne s'arrête pas là. Une fois que les condillaciens et les idéologues eurent abandonné leur langue des signes, la métaphysique spéculative refit son entrée. Benedetta Tripodi comme son maître ne sont pas des poststructuralistes postmodernistes. Ce sont des métaphysiciens audacieux, dotés de l'esprit de système. Badiou ne manque pas de culot quand il décrit sa propre démarche ainsi:
"La philosophie est systématique, en ce sens, parce que son désir propre
est de libérer l’action et la pensée par le strict usage immanent de
ressources tenues pour universellement disponibles : l’examen critique,
la clarté des principes, l’accord logique avec l’auditeur ou le lecteur
sur ce que c’est qu’une conséquence, la dialectique des arguments, la
force d’une conviction immédiatement lisible dans la langue qu’on
partage avec l’autre." (
« Système du système. »,
Les Temps Modernes
1/2015 (n° 682) , p. 172-179)
Au lecteur des Badiou Studies et des livres qui l'inspirent de vérifier si les écrits en question illustrent ce beau programme.
Pire, diront nos garnements en riant bien de
la farce faite au Capitaine Badiou à travers ses thuriféraires, la publication de
« Ontology, Neutrality and the
Strive for (non-)Being-Queer » dans Badiou
Studies montre – si c’était nécessaire, puisqu’il suffit de parcourir la
bibliographie sur Badiou pour voir qu’elle est à 99% composée d’articles de ce
genre – qu’il existe un véritable marché de production de foutaise (bullshit), qui se reproduit quasiment à
l’infini à la manière dont le font les post-modernist
generators. Badiou est loin d’être unique en son genre. On peut parier, sans
trop de risque de se tromper, que l’International
Journal of Zizek Studies, les Deleuze
Studies, les Foucault Studies , les Baudrillard Studies
etc. pourraient accepter des articles de ce genre sans y voir autre chose
que du feu. Les sociologues pourront réfléchir, à la suite de l’article
pionnier de Boudon, sur l’existence d’un second marché pour les intellectuels,
celui des medias, du journalisme (particulièrement philosophique) qui a fini
par s’amplifier et grignoter le premier marché, et même le concurrencer. Le philosophe
Brian Skyrms, avec qui je discutais une fois de ces sujets dans un colloque sur
la rationalité et la théorie des jeux, me donna la réponse : « There is a market for fools ».
Il y a une rationalité à entretenir l’irrationalité, et il y a des gains à
obtenir de l’existence d’un tel marché, qui a, outre bien sûr son public, ses
livres, ses revues, ses festivals, ses écoles d’été, et qui mime, de manière
grotesque, les rites du monde académique : peer refereeing, invited
chair, summer school, etc. Les
acteurs de ce marché jouent d’ailleurs avec l’academia traditionnelle : ils occupent des postes
universitaires, dirigent des thèses, reçoivent des doctorat honoris causa. Nous ricanons, et
nous nous rengorgeons de notre sérieux académique face à ces épisodes. Mais
sommes- nous sûrs d’être si immunes ? Benedetta Tripodi ne nous tend-elle
pas un miroir ? Au fond, son article n’est-elle pas l’image même de
l’université de demain ? Derrière toute farce, tout prosopon, il y a un visage
sinistre, et celui que ce canular brillant laisse entrevoir est glaçant.
Soit, dira-t-on, cette affaire de marchandise
badivine frelatée montre qu’une revue a mal fait son travail de sélection des
articles, ce qui arrive aussi bien à des revues scientifiques dites sérieuses. Cela
montre-t-il quoi que ce soit au sujet de l’auteur épinglé à travers ce piège
aussi banal que l’usage des leurres et autres appeaux par les pêcheurs et les
chasseurs ? Non, bien sûr, pas plus que l’affaire Sokal ne montrait que
les philosophes français tels que Derrida, Deleuze, Laruelle, Nancy, Latour,
Serres, et … Badiou aient quoi que ce soit à voir avec le canular. Bien entendu, il n'avaient rien à y voir: jamais il n'avaient écrit ce que le sottisier de Sokal et Bricmont révélait, jamais ils n'avaient par leur écrits induit l'immense littérature qui les célébrait, toutes leurs déclaration et leurs oeuvres allaient au contraire dans le sens d'une implacable rigueur spéculative et critique, qui s'appliquait d'abord à eux mêmes. Ditto , on le présume, Badiou. Si des imitateurs
de Fregoli se font leurrer par un autre imitateur de Fregoli les imitant eux-mêmes,
cela montre-t-il quoi que ce soit au sujet de Fregoli lui-même? Non, cela
montre juste qu’il a eu de bons élèves. Ici il en est de même : Badiou
devrait se réjouir d’avoir d’aussi bons élèves. Il en a, heureusement, de
meilleurs que Tripodi. Ils sont éminents.
Badiou himself est-il atteint par ce misérable canular ? Un penseur que tous, à
commencer par lui-même, s’accordent à considérer comme l’un des plus
importants du siècle précédent, et sans doute
aussi de celui-ci, ne peut être qu’au- dessus de la mêlée et de la mélasse
théorique attachée à son nom, même s’il est la cause prochaine de celle-ci. Comme
le dit Charles Ramond (op. cit) dans
un élan qui rappelle le « Il peut le faire » de Francis Blanche vantant les exploits du Sâr Rabindranath Duval : « Ses interlocuteurs
ne sont pas les philosophes, encore moins les commentateurs (cela va sans
dire), mais les problèmes eux-mêmes » (ibid).
Qu’aurait-il eu à faire, quand bien même elle eût existé, des commentaires de
Tripodi ? On dira qu’il a lui-même, étant membre du comité des Myself studies, eu à connaître de cet
article. Mais c’est douteux. Il n’est évidemment pas responsable des bêtises
qu’on dit en son nom, mais seulement des siennes propres. Comment l’auteur de La logique des mondes, de la Théorie du sujet, celui qui a relégué
Platon lui-même au rôle de faire-valoir depuis qu’il réécrivit La République, et qui peut être nous
livrera, une fois qu’il aura joué le rôle de Socrate dans un film hollywoodien
(voir ici même), son propre Parménide,
pourrait-il ne pas être indifférent à ce misérable canular?
N'empêche: des penseurs postmodernes visés par Sokal, à Maffesoli, et maintenant à Badiou, la liste commence à s'allonger des intellectuels victimes de canular, et comme dans Le Comte de Monte Cristo et La mariée était en noir, ceux qui n'ont pas encore été touchés ont du souci à se faire: qui sera le prochain? Ils ne pourront plus lire un article sur eux-mêmes sans avoir un doute. Les comités de rédaction vont avoir à redoubler de vigilance. C'est peut être, comme dans Le laboureur et ses enfants , un effet secondaire bénéfique.
Max et Moritz, Hans et Fritz, Pam et Poum
recevaient des fessées pour leurs farces. Quelle punition le Schulmeister va-t-il infliger à nos
garnements ? Elle est toute
trouvée : « Vous me copierez cinq fois L’être et l’événement ».
Selbst der gute Onkel Fritze
Sprach: "Das kommt von dumme Witze!"