Quoi de plus intime qu’une paire de
chaussures ? Plus intime que le slip, la chemise ou le pantalon. Car les
chaussures sont notre seul contact avec le monde extérieur et le sol, ce qui
nous permet de marcher, de courir, de nous asseoir, de taper sur des balles,
appuyer sur des accélérateurs et des pédales. Mais si nous parvenons bien à
nous souvenir de ces chaussures à roues que sont les automobiles que nous avons
eues dans notre vie, si un séducteur invétéré parvient à se souvenir de ses
conquêtes, ou même peut être de nos manteaux, qui se souvient de toutes les
paires de chaussures dans lesquelles il a mis les pieds ? Pas moi. Mais
quelques-unes ont compté pour moi et j’aimerais leur rendre hommage, tant que
je peux encore m’en souvenir.
Je n’ai aucun souvenir de mes souliers
d’enfant, mais j’ai sans doute eu, comme la plupart des bambins des années 50,
ce genre de sandales aux pieds.
La première paire notable dont je me
souviens est une paire de baskets noires. Elles montaient très haut sur la
cheville, et avaient un rond rouge sur le côté. La semelle, pourtant était très
peu épaisse. Je m’en souviens parce que ce sont ces chaussures qu’il fallait
avoir pour faire de l’escrime, sport auquel je m’initiais. Le fleuret, le
casque, et la livrée blanche de l’escrimeur étaient fournies par le Cercle
d’escrime, mais pas les chaussures, qui furent, pour ma famille un poste de
dépense important. Par la suite je portai aussi ces baskets pour faire du vélo.
A la longue, comme on y suait, elles finirent par puer, ce qui limitait leur
usage aux lieux extérieurs. Je dus m’en séparer, mais je ne me souviens plus de
ce que je portai ensuite outdoors.
Les pataugas ? Je ne crois pas. Des tennis ? Je n’en ai jamais porté.
Je crois que tout simplement, ayant cessé de faire du sport, je renonçai aux
baskets.
La seconde paire était les clarks. Tout le monde au lycée en avait.
Je voulus en avoir aussi, pensant que cela favoriserait mon invitation aux
surprises parties. C’étaient des chaussures en daim montantes, à lacets, qu’on
portait en général sous un jean (cela n’allait pas avec les pantalons droits).
C’était assez moche, mais c’était la mode.
J’eus ensuite des bottes de cuir, quasiment
rouges, mais tirant vers le brun. Ce n’étaient pas des bottes de cheval, car
elles étaient souples, plutôt agréables à porter, à condition de pouvoir
glisser dedans un jean en velours fin. Comme j’avais par-dessus tout cela un
manteau de type « afghan » blanc à la mode, cela me donnait un air de
Tchichikov, même s’il y avait rarement de la neige.
Quand j’eus vingt ans, mon snobisme
s’accrut. J’allai en Angleterre à Oxford, et là je restai en contemplation
longtemps devant les les chaussures de chez Ducker and Sons sur Turl Street,
avant de pouvoir m’en payer une paire. J’eus
ensuite des dizaines de chaussures anglaises du même genre, mais sans pouvoir
retrouver celles-là. ( addendum avril 2014 : Ducker a fermé ! End of the road...)
http://www.the-tls.co.uk/articles/public/tolkiens-tennis-shoes/
http://www.the-tls.co.uk/articles/public/tolkiens-tennis-shoes/
A l’école normale, je vis un jour Althusser porter
chez le cordonnier qui se trouvait à l’entrée de la rue Claude Bernard les
boots qu’il portait à longueur d’année. Je voulus les mêmes, mais ne les
trouvait que plusieurs années après. Les malheurs d’Althusser ne m’avaient pas
découragé de porter les mêmes chaussures que lui.
J’aimais beaucoup une paire de chaussures
dont le bout était quasiment carré trouvée dans un magasin anglais à Grenoble.
Je les portai des années. Mais jamais je ne réussis à vraiment retrouver cette
forme.
J’eus
longtemps des spartiates pendant l’été, et des chaussures américaines de style
écrase-merde. Bien sûr j’eus des chaussures bateau, des mocassins en daim, des
espadrilles etc. Mais rien qui laissât en moi un souvenir podique.