Robert Bresson, Pickpocket
La
meilleure arme du voleur (du traître, de l’escroc, etc.) consiste à se
présenter carrément comme tel en toute évidence. On est tellement pantois de
son culot qu’on ne parvient pas à croire qu’il accomplit son forfait. Exemples.
Un
individu fait la queue pour entrer au cinéma, et soudain se détache de la file,
fonce vers le guichet et prend la première place devant la caissière. Au moment
où les autres spectateurs s’apprêtent à lui tomber dessus, il fait un large
sourire, d’un air de dire qu’il n’en peut mais d’avoir remonté la queue, et
prend les derniers billets disponibles.
Un
individu s’avance vers vous et plonge sa main dans votre veste pour y saisir
votre portefeuille. Alors que vous vous apprêtez à glapir « Au
voleur ! », il éclate de rire, d’un air de vous avoir fait une bonne
blague, et sous votre regard médusé, s’en va avec le portefeuille.
Le
plagiaire a recopié votre livre ou votre article. Mais pour bien marquer qu’il
ne l’est pas, il vous cite abondamment en note, mais sur des références qui ne
sont pas celles des textes qu’il copie.
Après avoir des années durant craché sur la
philosophie analytique, X se présente désormais comme philosophe analytique. Il
vous déclare : « Je me sens bien différent de ces philosophes
analytiques du lendemain, qui pimentent leurs écrits continentaux de références
analytiques pour avoir l’air de philosophes analytiques de la veille.»
Contre mauvaise fortune, savourons tout de même l'ironie de cette historiette : là même où l'on dénonce le complot fidéiste de la philosophie analytique française, on trouve le récit pittoresque de la conversion et du martyre de Saint Benoist.
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RépondreSupprimer????
Pouvez vous me dire où sur ce blog il y a une "dénonciation du complot fidéiste de la philosophie analytique française" ? et en quoi c'est "là même" qu'on le fait ?
j'ai cherché via l'index et n'ai rien trouvé.
cela dit, si vous aimez les références pieuses n'oubliez pas que ce blog est celui d'un ange qui a comme but de remplacer le coeur des méchants par un coeur bon.
Les convertis de la dernière heure ont au moins apparemment le mérite de mettre en valeur l' « authenticité » supposée de l'engagement philosophique de ceux de la première. Happy few
RépondreSupprimerdont les longs états de service ravalent les nouveaux convertis au rang de sournois opportunistes...
Mais, au fait, quel « portefeuille » subtilise-t-on ici? Et s'il s'agit de file d'attente, de quels billets est-on injustement privé au juste? Tout cela sonne de façon quelque peu puérile : j'étais là avant, chasse gardée, etc.
Arnaud M., un converti (amateur) de la "première" (?) heure...
Personne ne parlait de conversion ou de chasse gardée. Je relevais juste le mécanisme de ce que l'on pourrait appeler la sincérité frauduleuse. Mais ce procès d'intention mis à part, si je vous comprends bien, vous applaudissez des deux mains quand on vous vole votre portefeuille, quand on plagie ou quand on vous passe devant dans la queue ? Vous trouvez que c'est bien fait pour ceux qui sont assez naifs pour attendre leur place?
SupprimerCher Ange Scalpel,
RépondreSupprimerJe me suis sans doute mal exprimé, mais je vous assure que mes intentions étaient tout à fait bienveillantes (du moins à l'égard de ce blog que j'apprécie beaucoup) !
J'ai cru deviner que votre dernier paragraphe — si ce n'est tout votre billet — faisait référence à une courte autobiographie intellectuelle très récente, d'un certain ex-husserlien épris de langage ordinaire, dans une certaine revue s'arrogeant le privilège de peindre à grands traits polémiques le paysage de la philosophie française contemporaine. Mon "là même" désignait ladite revue, certainement pas ce blog ; et je m'amusais non de votre texte, mais de ce que l'on trouvât dans la revue en question un tel texte auto-hagiographique, alors qu'on lisait dans le précédent numéro une diatribe signée J.G. (que vous avez sans doute lue) qui dénonce en substance une conspiration théiste des philosophes analytiques français. En somme, j'ai hasardé un mauvais jeu de mots sur le chemin de croix de St B. Mon commentaire était sans doute trop sibyllin, dont acte !
Libre à chacun de penser à tel ou tel exemple de ce que je décris ici dans le quatrième cas. J'aurais pu prendre mon exemple chez les ex-soixante huitards devenus chantres de l'économie libérale. Je suppose qu'alors on ne m'aurait prêté aucune intention mauvaise. Et , au risque de me répéter, mon point ne portait pas sur la conversion elle même, mais sur le fait de la nier contre toute évidence.
Supprimer" Un classement profond des hommes consiste à les classer, non pas suivant les objets de leurs sentiments, mais suivant leurs sentiments mêmes, dont ces objets ne sont qu'une occasion ; à les classer non pas suivant qu'ils aiment telle chose ou telle autre, mais suivant qu'ils aiment ou haïssent ; car l'objet de leur amour ou de leur haine changera, mais guère leur besoin d'aimer ou de haïr (...) Ces idées distinctes les unes des autres et qui satisfont un même sentiment peuvent même, en tant qu'idées, être contradictoires, et c'est ainsi que les idées d'une même personne, apparemment incohérentes, se mettent à présenter une subite unité si on s'avise pour les juger de passer du point de vue de leur contenu intellectuel à celui de leur vertu affective. "
RépondreSupprimerCes lignes tirées de Mon premier testament de J. Benda éclairent la conversion ; quant à la négation par l'intéressé d' une conversion douteuse, ou plus généralement d'une forfaiterie, elle doit être éclairée par de nombreux passages des Caractères de La Bruyère, peut-être celui-ci, plutôt anti-aristotélicien :
" On n'est point effronté par choix, mais par complexion ; c'est un vice de l'être, mais naturel ; celui qui n'est pas né tel est modeste, et ne passe pas aisément de cette extrémité à`l'autre ; c'est une leçon assez inutile que de lui dire : " Soyez effronté et vous réussirez " ; une mauvaise imitation ne lui profiterait pas, et le ferait échouer. Il ne faut rien de moins dans les cours qu'une vraie et naïve impudence pour réussir." (De la cour, 41)
Quant au voleur de Bresson, il est vraiment à l'opposé des voleurs dont vous parlez, mais c'est dur, il est vrai, de trouver une image d'un vol effronté (il faudrait un petit film plutôt car la manifestation de l'effronterie prend du temps et sollicite la mémoire de l'observateur)
Répondons d'abord sur le plus facile. En effet le film de Bresson ne montre pas du tout un pickpocket effronté , mais un pickpocket honteux et dissimulateur. Donc il illustre mal mon cas.
RépondreSupprimerCependant il me semble avoir vu à la télé un petit film décrivant le comportement dont je parle, sauf que le pickpocket était déguisé en clown, et les gens riaient quand il leur piquait leur portefeuille.
La Bruyère approche de ce que vous décrivez et de ce que je visais , qui est bien l'effronterie. Je vous remercie beaucoup de la citation et du mot, que j'aurais dû utiliser. C'est bien effet l'effronterie, et le culot, et non pas telle ou telle mauvais action, que j'entendais viser. Contrairement à ce qu'Arnaud M a lu dans mon texte, je me moque de savoir si on était dans le camp X avant d'être dans celui Y. J'ai moi même subi des conversions. Ce qui m'intéressait était que celui ou celle qui s'est converti éprouve le besoin de le dire, et de se distinguer des mauvais convertis, comme pour s'excuser d'avoir jadis dit du mal du camp qu'il a rejoint. Mais je conviens que j'aurais sans doute du étudier le cas avec des convertis célèbres, comme Saul de Tarce, mais les exemples de philosophes continentaux repentis m'étaient plus immediats soux les yeux.
Je suis pourtant encore à la recherche d'une bonne description , chez un moraliste français de l'effronterie ou de la sincérité frauduleuse. Je compte sur vous pour m'en trouver une. Merci beaucoup
quant à Benda, je ne vois pas trop en quoi sa théorie des sentiments dans Mon premier Testament ( très inspirée de Nietzsche) se rapporte à nos cas .
Remember ! Ah ! les bonnes résolutions d'hier, aussi volatiles que celles du nouvel an ! Je cite
RépondreSupprimer"Ne pas m’indigner de ce que l’on plagie partout de manière éhontée, et qu’on plagie les travaux les plus mauvais (...)
Ne pas m’indigner de ce que l’on fasse semblant d’ignorer mes travaux, ou que quand on les cite ce ne soit que pour des points sans importance pour masquer le plagiat (...)
Ne pas m’énerver du fait que des gens qui ne trouvaient aucun intérêt ou étaient totalement indifférents à mes écrits, et à certains thèmes ou auteurs que j’étais le premier à faire connaître au moment où je les ai publiés, viennent dix ans ou vingt ans plus tard, non seulement publier sur le même sujet sans me citer, mais aussi me recommandent avec une condescendance apitoyée pour mon ignorance, de m’ intéresser à ces mêmes thèmes ou auteurs" (...)
J'arrête là. On a beau savoir que ce n'était que des résolutions pour rire, il est permis d'en voir la nostalgie !
Encore une chose : pourquoi appeler "sincérité frauduleuse" ce qui pourrait aussi bien (ou plus simplement) s'appeler "culot" ou "aplomb" ?
Amicalement (sincérité tout court !)
Arnaud M. (celui qui s'est découvert admirateur des voleurs, des resquilleurs et des plagiaires !.. Sans oublier les procès d'intention !)
P.S.: "subit"-on une conversion ? A moins que ce ne soit une révélation divine ...
Je note qu'il y a tout de même de "mauvais convertis", c'est-à-dire ceux là même qui tentent de se convaincre qu'ils n'en sont pas: l'ennui est que, comme personne n'est nommé, il faut s'attendre à ce que ceux qui devraient se sentir visés s'imaginent à coup sûr qu'il est toujours question de quelqu'un d'autre.
Vous avez parfaitement raison de me rappeler à mes résolutions. J'ai dit que si je ne les appliquais pas je serais un vieux con. Je m'en rapproche en effet.
RépondreSupprimerQuant au phénomène que je pointais , Philalète l'a parfaitement identifié, et je le remercie, et il a un nom : c'est l'effronterie.
Si vous me relisez vous verrez que j'ai employé le terme de culot.
Mais il y a de nombreux manières d'être culotté. Celle dont je parlais
consiste à sciemment montrer qu'on l'est en vue même d'accomplir son larcin. Si vous ne voyez pas en quoi il y a tromperie, et en quoi ces comportements sont blâmables, alors oui, en effet je peux vous soupçonner d'admirer les voleurs.
Personne n 'est nommé car le phénomène est doté d'une étrange ubiquité. J'ai mentionné les républicains de la veille et ceux du lendemain en 1848, j'aurais pu mentionner les gens qui se sont découverts résistants fin 1944. Bien entendu la conversion est ratée si on ne sen vante pas en public.
Un autre phénomène lié à l'effronterie, très bien identifié par notre maître La fontaine est celui de la mouche du coche .
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.
Mais je conviens avec vous que rappeler la différence entre le vol et le travail honnête est d'une banalité éculée. Lisez donc plutôt La Bruyère ou La fontaine que ce blog.
Peut-on me soupçonner sérieusement de ne pas condamner les comportements décrits dans ce dernier billet ?
RépondreSupprimerLe problème n'est évidemment pas là : c'est celui du dénigrement de la philosophie analytique (c'est à cela que le billet veut en venir, tout ce qui précède prépare seulement le terrain) auquel se livraient divers auteurs (je suis trop ignorant pour deviner lesquels, mais est-il si important de les connaître ou de les lire ?) avant d'en devenir apparemment d'ardents défenseurs et dont on dénonce ici l'effronterie (adopté!) ou le manque de sincérité (exercice : débusquez les Tartuffe de la philosophie analytique d'aujourd'hui ; durée de l'épreuve ?).
Plus précisément, l'effronterie, si j'ai bien compris, consisterait pour ces adeptes (on n'ose pas dire "impétrants") de la dernière heure à se présenter comme de vieux défenseurs de cette orientation philosophique, après en avoir été les contempteurs - on devine que c'était pour de mauvaises raisons, trahissant en outre leur ignorance, mais il faudrait les rappeler – bref, à se déclarer plus royalistes que le roi ... contre lequel ils ont jadis comploté. Mais s'il s'agit de philosophie analytique (je laisse le spécialiste que vous êtes tenter d'en définir l'unité, si elle en a encore une, après les multiples ramifications et évolutions qu'elle a connues), pourquoi s'attarder à ces revirements stratégiques ou opportunistes ? Comment comprendre ces conversions suspectes , sinon que cette appartenance est perçue par ces faux dévots comme un gage de compétence académique, parce qu'elle est désormais largement adoptée ?
On sent aussi (nouveau procès d'intention ?) chez Ange Scalpel la nostalgie de l'époque pionnière où cette philosophie avait besoin d'être héroïquement défendue, parce qu'elle était méconnue ou minoritaire. Dès lors qu'elle cesse de l'être, et elle a cessé de l'être, il faut la défendre contre le zèle maladroit, quand il n'est pas malhonnête, des derniers venus.
Un exemple : on connaît les grincements du meilleur spécialiste français de Wittgenstein lorsqu'il voit son grand auteur accommodé à toutes les sauces (notamment toutes les études sur le modèle « Wittgenstein et... » ; mettre dans les … un nom de philosophe de votre choix et de n'importe quelle époque, à votre convenance). La rançon du succès, c'est qu'on redoute l'affadissement de ce qu'on a auparavant défendu avec la conviction d'une avant-garde.
Dans ces conditions, l'essentiel est de faire œuvre pédagogique et non de lancer l'anathème contre les faux dévots. Et s'ils sont si mauvais, au sens de l'incompétence, quel mal peuvent-ils faire à la « cause » ? Si on objecte à cela que le public peut pâtir de la mauvaise qualité du travail de ces imposteurs, on en revient au point principal : pédagogie encore, plutôt que polémique acerbe (lire billet précédent!)
Arnaud M. (qui serait bien ingrat de ne pas reconnaître que vous avez remarquablement accompli cet effort pédagogique et qu'il continue, ici, dans ce blog, comme ailleurs...)
P.S.: Aucun problème pour lire La Bruyère et La Fontaine. Mais eux ne répondent plus aux questions qu'on leur pose (vieil argument du Phèdre de Platon pour privilégier le dialogue au détriment de l'écrit )
Vous avez tor de considérer mon exemple de la philosophie analytique comme "ce à quoi je veux en venir". J'aurais pu prendre d'autres exemples, celui là m'est plus familier, en effet. Mais c'est très mesquin et assez malveillant de votre part de supposer que mes motifs sont de jouer les grognards qui se plaignent de ne plus être sous la mitraille et de ne pas avoir leur pension. Je pense que simplement vous n'êtes pas très informé, parce que nous n'avez pas sous les yeux le type de comportements auxquels je fais allusion. et puis de la pédagogie, ne croyez vous que j'en ai fait assez ?
RépondreSupprimerPermettez-moi de clarifier ce que j'ai voulu dire en citant Benda à propos de la conversion, il vaudrait mieux dire d'ailleurs du changement radical d'opinion, à 180 degrés.
RépondreSupprimerJ'aurais dû pour être plus explicite citer le texte qu'en fin de compte j'avais en tête. P. 46 de Mon premier testament, Benda essaye de montrer que des personnes qu'on peut juger intellectuellement incohérentes parce qu'elles soutiennent des thèses contradictoires peuvent être motivées par un même sentiment, en l'occurrence ici l'orgueil, se satisfaisant par ces deux thèses (ici elles portent sur le corps et l'État) :
" C'est ainsi, par exemple, que l'idée que le corps est méprisable et l'idée que le corps est sacré présentent de l'unité de ce point de vue que l'une et l'autre satisfont l'orgueil, la première en disant au sujet sa supériorité sur l'animal et la seconde en lui disant la suprême importance de tout ce qui est lui ; et c'est ainsi encore que la contradiction, tant signalée chez les Français, de l'esprit de discipline et d'un certain esprit révolutionnaire cesse d'être contradiction si l'on remarque que l'un et l'autre satisfont encore l'orgueil, le premier en disant au sujet qu'il y a de la grandeur dans l'obéissance et le second en lui disant qu'on est supérieur à ce qu'on détruit."
À partir de là, si on prend en compte non des croyances contradictoires qui coexistent dans le même esprit mais des croyances qui se succèdent, on peut voir la conversion comme la transformation radicale de la croyance en vue de satisfaire plus complètement tel ou tel sentiment insuffisamment satisfait par la croyance reniée.
Une telle analyse que Benda ne fait pas mais qui correspond à une sorte de généralisation n'est pas autoréfutante au sens où pourrait l'accuser de ne pas être vraie mais d'être motivée seulement par tel ou tel sentiment. En effet Benda prend bien soin p.92 de soutenir que " la plupart des idées que nous venons de dire peuvent être adoptées hors de tout besoin affectif préalable (...) et même peuvent être adoptées alors que, pour la satisfaction de ses sentiments personnels, le sujet préférerait les idées contraires."
Donc, si je reste fidèle à Benda, je dois en conclure que certaines conversions ont des causes affectives alors que d'autres ont des raisons intellectuelles. Il se pourrait que les plus effrontées soient les premières.
Concernant l'effronterie, j'ai trouvé dans les Caractères de Théophraste, traduits par La Bruyère un exemple qui pourrait prendre place dans votre série, ce sont les dernières lignes de " De l'effronterie causée par l'avarice " .
RépondreSupprimer" Cet effronté, en un mot, entre sans payer dans un bain public, et là, en présence du baigneur, qui crie inutilement contre lui, prenant le premier vase qu'il rencontre, il le plonge dans une cuve d'airain qui est remplie d'eau, se la répand sur tout le corps : " Me voilà lavé, ajoute-t-il, autant que j'en aie besoin, et sans avoir obligation à personne ", remet sa robe et disparaît."
Je n'assure pas que le texte grec est exactement traduit ( Benda lui-même explique que La Bruyère prenait des libertés ) mais le cas ressemble à celui de l'homme qui ne fait pas la queue.
Concernant l'explication de l'effronterie, je me demande si on ne pourrait pas l'analyser en faisant l'hypothèse d'une réduction de dissonance cognitive. L'effronté pourrait désirer bien agir et croire qu'il agit mal. D'où deux réductions possibles : soit il va penser qu'il agit bien (l'air satisfait s'explique par la bonne conscience d'avoir respecté les règles ordinaires) ; soit il va penser que mal agir est en fin de compte désirable ( par exemple il va se dire que ça traduit une indépendance d'esprit par rapport à la foule, au fond mal agir pour la foule est bien agir pour l'homme éclairé ). Dans les deux cas, il peut montrer un visage satisfait et cela sans hypocrisie : il est content de lui.
En tout cas il faudrait distinguer ce type d'effronté du coquin, tel que le dépeint encore Théophraste :
" Un coquin est celui à qui les choses les plus honteuses ne coûtent rien à dire ou à faire, qui jure volontiers et fait des serments en justice autant que l'on lui en demande, qui est perdu de réputation, que l'on outrage impunément , qui est un chicaneur de profession, un effronté, et qui se mêle de toute sorte d'affaires." (De l'image d'un coquin)
Jouons les avocats du diable.
RépondreSupprimer" Après avoir des années durant craché sur la philosophie analytique, X se présente désormais comme philosophe analytique."
Vous êtes victime d'un malentendu, ce que vous preniez pour des crachats, c'était en réalité une manière - certes maladroite - de déclarer son amour. Par ailleurs, quand il se compare à Y ou à Z, X est bien convaincu de ne pas être un converti de la dernière heure.
Celui que vous qualifiez de pickpocket avait en fait reconnu son portefeuille dans votre veston, il n'avait pas à avoir honte de le récupérer.
Quant à celui que vous preniez pour un resquilleur, il a très clairement entendu l'ouvreuse l'appeler en tête de la file d'attente ...
Ces quelques malentendus dissipés, la probabilité de faire un ulcère se trouve réduite.
Plus sérieusement, je me demande quelle part on doit faire à la duperie de soi dans l'explication de l'effronterie mais aussi dans le jugement qu'on porte sur elle : un effronté qui n'a pas conscience de son effronterie est-il un véritable effronté, et est il moins coupable?.
comme Faust n 'eut pas le courage de le dire à Mephisto : "ben voyons!"
RépondreSupprimerPour en revenir au texte de Théophraste cité plus haut, le défaut de l'effronté est en grec άναισχυντία, c'est l'absence de αίσχύνη, qui est la honte que l'on ressent quand on commet une mauvaise action. Donc, dans ce cadre, l'effronté ne se dupe pas en croyant qu'il agit bien et l'explication par réduction de dissonance cognitive n'est pas pertinente puisque la croyance qu'on agit mal fait défaut. J'ajoute que la capacité de ressentir de la honte n'est pour Aristote vertueuse que chez le jeune car chez l'homme fait, elle est l'indice d'un vice dont on a honte (Éthique à Nicomaque, IV, 15). En somme l'effronté comme l'adulte honteux commettent la même faute mais le second en a conscience, le premier non. Pour en rester dans le cadre aristotélicien, Il va de soi, je crois, que l'effronté est responsable de son inconscience, même si l'éducation joue son rôle aussi dans l'acquisition de αίσχύνη.
RépondreSupprimerCher Philalèthe
SupprimerC'est très utile, merci beaucoup. Cependant , à la réflexion, il me semble qu'il y a plus, dans les comportements que j'essayais de caractériser dans mon billet " Apprentissage de l'obvie" , que de l'effronterie et absence de honte. Certes cette absence peut se manifester de en des manières, par une parole le plus souvent, par un sourire, une allure, un ton ou un costume, autant de signes, plus ou moins explicites que l'on n'a pas honte de ce qu'on fait ni de la réprobation qu'on attend ( ou pas : car il y a de l'effronterie consciente et de l'effronterie inconsciente , de l'effronterie systématique et de l'effronterie étourdie) . Mais ce sur quoi je voulais attirer l'attention est le comportement dans lequel on sait qu'on fait quelque chose de honteux, mauvais, etc, on juge soit même que c'est le cas, et on accomplit on forfait EN VERTU MEME de la reconnaissance que l'autre a de votre effronterie, reconnaissance qui joue un rôle causal dans le mécanisme qui conduit à la réussite du forfait. C'est parce qu'il sait que l'on voit qu'il est effronté que le pickpocket profite de notre éberluement pour accomplir son forfait. c'est parce qu'il sait que l'on voit qu'il n'a pas assez travaillé en philosophie que celui qui nous dit s'être mis à la philosophie éprouve le besoin de se démarquer de ceux qui s'y sont mis superficiellement en les condamnant et par là en espérant gagner quelque crédit, etc. Il y a là un jeu gricien: on a l'intention que l'autre reconnaisse l'intention que l'on a de faire en sorte qu'il reconnaisse notre intention....
Je comprends mais, tels que vous les décrivez, le pickpocket affiche volontairement sa faute et profite du toupet et de la surprise que son culot engendre pour arnaquer plus efficacement alors que le philosophe cherche à masquer sa faute, ce en quoi il a du toupet certes, mais en fin de compte il échoue. Dans le premier cas le succès implique la reconnaissance par la victime du culot, dans le second cas, le succès implique la méconnaissance de ce même culot.
RépondreSupprimerEst ce que le philosophe imposteur cherche à masquer son imposture ?
RépondreSupprimernon, il l 'assume, et nous dit en même temps : je ne fais pas partie des imposteurs. Il ya là quelque chose comme de la self deception avouée
Voilà qui aurait fasciné des auteurs comme Bateson et R.D. Laing, et qui devrait fasciner tous les passionnés des contradictions et des paradoxes qui font le charme du psychisme humain...
RépondreSupprimerCertes, On met en évidence sa lucidité sur un défaut, qui est le nôtre, en l'attribuant à d'autres au moment même où on le montre. Le fait de cibler si lucidement devant nous l'ensemble auquel on appartient au moment même où on dit ne pas y appartenir a bien comme but de faire en sorte que nous le distinguions de ceux qui sont visés et donc de nous tromper (sauf à penser qu'on a affaire à quelqu'un d'inconscient qui ne sait pas qu'il appartient à l'ensemble de ceux dont il se distingue).
RépondreSupprimer" Je ne suis pas comme ces hypocrites qui flattent leurs amis" dira l'hypocrite à son ami qu'il flatte en vue que ce dernier croie à sa sincérité. La question est : pourquoi agir ainsi et ne pas se contenter de passer sous silence notre propre défaut ? Ça repose peut-être sur la croyance que l' interlocuteur a la croyance suivante " personne n'est assez cynique ou aveugle pour dénoncer son défaut chez les autres au moment même où il le montre !" . L'imposteur s'attend donc à ce que, renonçant à l'hypothèse du cynisme ou de l'aveuglement, son interlocuteur lui attribue une sorte de connaissance de soi directe et bien meilleure que celle de l'interlocuteur " s'il dit qu'il n'est pas ce qu'on croit qu'il est, c'est qu'au fond de lui il sait bien qui il est ":
Vous m'incitez à relire Histoire universelle de l'infâmie et les portraits de salauds de Sartre...
SupprimerJ'ai du mal à saisir le concept de duperie de soi assumée. La condition pour que la duperie de soi soit efficace n'est-ce pas que nous nous dissimulions à nous mêmes que nous cherchons à nous duper ?
RépondreSupprimerPar ailleurs, comme Philalète je m'interroge sur la rationalité de cette stratégie considérée en tant que tentative de duperie d'autrui. Comment le "philosophe" peut-il espérer duper autrui (lui faire croire qu'il n'est pas un imposteur) s'il assume son imposture. Faut-il supposer qu'il s'illusionne sur la possibilité de duper autrui? Une solution pour donner du sens à cette stratégie consisterait peut être à supposer qu'elle vise un double public : face à un petit nombre d'initié le "philosophe" assumerait son imposture (et jouirait de leur impuissance à le contrer) tandis qu'il s'agirait simplement de duper le grand nombre des non initiés.
On est d'accord: on peut à la fois se duper soi-même tout en voulant duper autrui. Peut on vouloir se duper soi-même ? Il semble que oui : n'est ce pas ce que l'on appelle aveuglement volontaire ? Est-ce de la complexité à la Feydeau ou de la complexité à la Proust ?
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