Pages

mercredi 21 août 2013

To kill a blogging bird



                                                     Norman Rockwell, The right to know



         Quand le blogging est apparu comme phénomène de masse, il y a un peu plus d’une décennie, nombreux sont ceux qui y ont vu une possibilité de libérer les opinions et les discussions, et de trouver un espace indépendant de la presse et des media traditionnels, voire des revues et publications savantes. On nous a vanté le fait que c’était le modèle même de la démocratie : tout le monde, du moment qu’il a un ordinateur et une connexion internet (ce qui, on l’avouera, exclut quand même de la démocratie à peu près 40% de la population mondiale) peut intervenir comme il le veut pour exprimer son opinion, présenter des textes, des projets etc.. Dix ans plus tard, qu'en est-il ? Le bilan me semble largement négatif, en dépit de l’immense succès de ce mode de publication, qui semble avoir remplacé dans bien des cas les revues, les tribunes, les journaux même, et qui intègre à présent, avec les réseaux sociaux, près de 70% de ce qui se publie, le papier perdant sans cesse du terrain et avec lui les bibliothèques, remplacées par des plateformes électroniques.

        La majorité des blogs sont simplement des plateformes publicitaires, des portails pour telle ou telle marque, telle entreprise, commerciale, religieuse ou politique, quelquefois « artistique » , mais avec toujours comme objectif la promotion. La règle du jeu est d’avoir le plus de « clics » possibles, ce qui attire d’ailleurs les annonceurs, quand ce n’est pas un des objectifs de base du site.

        Supposons un instant, par charité et pour les besoins de l’argument, que ce ne soit pas l’objectif de tous les blogs, et intéressons-nous seulement à ceux qui ont – du moins de prime abord – un objectif culturel ou créatif – communiquer des idées, des textes littéraires, des œuvres picturales et musicales – ou sociales – mettre en communication les membres d’une profession, des communautés plus ou moins réduites ou plus ou moins larges de gens.

         Un blog n’est pas la même chose qu’une revue sur internet. Chaque auteur de blog est libre d'y  mettre ce qu’il veut, à la manière (et c’est le sens du mot « blog », d’un « log book » ou d’un journal où l’on couche ses pensées du moment, à cette nuance près qu’on est supposé le faire à la cantonade, et surtout qu’il y a, à la fin de chaque « post », une section destinée à accueillir les réactions des « blogueurs » qui le lisent. Ce sont eux qui en fait font tout le sel supposé du blog et sa raison d’être, car autrement on aurait affaire seulement à une sorte de soliloque un peu ennuyeux, car le blog est supposé attirer des blogueurs, qui en font le succès. Ces blogueurs, à la différence de l’auteur du blog, sont le plus souvent anonymes. Pourquoi ?  La raison principale semble être que comme ils y émettent souvent des propos qui sont  le plus souvent dictés par leur humeur du moment, ou bien parfaitement stupides, il est préférable qu’ils restent anonymes, car un propos dicté par l’humeur est le plus souvent embarrassant pour son auteur une fois l’humeur retombée. Une deuxième raison est que plus les propos en question sont agressifs, voire insultants, plus il est préférable d'en cacher l’auteur. Car bien souvent le blog est un défouloir, où l’anonymat est prétexte à se lâcher. Il est assez évident que si les signataires n’étaient pas anonymes, le blog aurait moins d’attrait. Un blog a en général un ou plusieurs modérateurs. Ils sont supposés stopper le flot des « trolls », spécialistes de l’intervention sur internet, qui semblent, tels des aiguilleurs du ciel, avoir une sorte de tableau de bord devant eux pour savoir où il passe de l’activité, afin de pouvoir intervenir, le but étant avant tout de ne pas perdre le fil. Pour cette même raison, et comme il y a une sorte de veille permanente sur internet, il faut que les interventions soient les plus rapides possibles, que le rythme ne décélère pas. Tout ceci encourage plusieurs phénomènes assez détestables.

    Le premier est la production de bullshit, ou de foutaise. Le phénomène a été diagnostiqué remarquablement par Harry Frankfurt (tr. fr. L’art de dire des conneries, 10/18), très commenté, et il est très significatif. Le bullshiter, nous dit Frankfurt, n’a cure de la vérité. Ce qui l’intéresse est de parler, just talking. Ce vice fut diagnostiqué au Grand Siècle par les moralistes et les philosophes, comme Malebranche ou La Bruyère, et il porta plus tard d’autres noms : figarisme, comme les coiffeurs qui parlent pour parler, conversation de Café du Commerce, baratin, gossip ou Geschwätz , phénomène bien décrit dans la civilisation viennoise par Schnitzler, Kraus, Musil et bien d’autres.Le blogging n'a pas créé le bullshit, mais il le multiplie exponentiellement.

    Tant qu’on est à Vienne, ajoutons qu’une autre fonction des blogs est de rire d’autrui, de désigner des gens ou des attitudes qui soient la risée de la blogosphère. Freud y voyait l'une des fonctions essentielles du rire, et c’est la conception classique (celle de Hobbes par exemple), du rire comme décharge émotionnelle envers ce que l’on juge inférieur à nous, comme défouloir, de toutes sortes de choses.

   Le troisième est que le web est propice aux chasses aux sorcières, des dénonciations d’individus à celles de comportements. Les blogs politiques le font communément, mais les blogs « intellectuels » aussi. On dénonce les gens qui, pour une raison ou une autre, ne se comportent pas bien, pas comme nous ou pas comme il faut. Ainsi des blogs très lus comme celui de Leiter, destiné aux académiques en philosophie, passent une bonne partie de leur temps à dénoncer les manquements à telle ou telle règle supposée ou réelle de l’academia, ou des blogs comme New Apps dénoncent les manquements à l’égalité entre les sexes, notamment quand il n’y  pas ou pas assez de femmes dans tel colloque, livre, revue, etc. , et se livrent à de vraies chasses à l’homme (en France de tels blogs semblent inconcevables, car l’academia n’existe pas, mais ils existent à l’état embryonnaire). Inversement sur les blogs on dit ce que l'on aime, on "like" comme sur Face book. Besoins humains fondamentaux. Mais le plus souvent on ne dit pas pourquoi on aime ou on n'aime pas. Les blogs sont très wittgensteiniens: ils nous font comprendre que la justification doit s'arrêter quelque part.

    Il n’est pas tout à fait exact que ce qui intéresse le blogueur soit juste de parler. Sans quoi il serait, comme le Bavard de Louis René des Forêts, dans son soliloque. Le blogueur cherche le plus souvent la publicité, et du trafic sur son site. Les plateformes d’accès lui proposent de faire de la pub pour des produits, livres et autres, et il entend surtout faire sa pub personnelle dans la plupart des cas. Dans d’autres cas, il fait tout simplement de la politique, même si c’est à petite échelle. Aussi est-il obsédé par le nombre de clics. « La poublicité! La poublicité ! »

     Tout ceci est particulièrement dommageable pour les blogs philosophiques. On pourrait s’y attendre à ce qu’ils favorisent la discussion et l’argument. Certains le font, et je tiens à cet égard Pea Soup comme un modèle, sans doute parce qu’il est modéré et que chacun y parle à son tour, poliment et en retournant quatre fois sa plume dans l’encrier. Ou encore des blogs comme Philalèthe, qui sont ancrés dans les textes classiques. Mais bien souvent , y compris sur les blogs "savants", on ne trouve que des vitupérations, des informations purement « tribales » sur telle ou telle communauté de philosophes. Et on y déroge aux règles les plus élémentaires : on copie et colle, on ne cite pas, on parle par allusion, et surtout on ne lit pas  les travaux donnés en référence, soit parce qu’ils ne sont pas disponibles sur le web, ou pas en accès libre, soit parce qu’on  a la flemme. Résultat : bien des discussions s’engagent sans que les participants aient la moindre connaissance de ce dont il s’agit, comme s’ils prenaient une conversation à la volée. Le résultat, même quand la discussion est de qualité, est souvent l’exact contraire de ce que l’on pourrait attendre d’une discussion philosophique, simplement parce qu’il faut aller le plus vite possible, en quatrième vitesse, kiss me deadly, et poster avant les autres (il y a là des phénomènes de queuing bien connus des psychologues). Les meilleurs blogs sont ceux où l’on prend le temps de répondre, où on s’informe, où l’on  ne part pas bille en tête. Mais le genre même du blog semble aller contre ces attitudes (qui sont encore accentuées démesurément sur Face book et sur Tweeter).

    On me répondra que je peins les choses en noir, sans dire ce qui est positif. Certes les blogs permettent aussi de propager des informations et discussions qu’on ne trouve pas sur les autres medias organisés, ils ne sont pas tous des plateformes de bullshitting, et on y trouve des discussions  et critiques intéressantes. Souvent ils sont fun.Dans certains cas la veille permanente est utile, et préférable au silence. Des sites comme Acrimed dénoncent les excès, dérapages, faux semblants, du journalisme, particulièrement sur le web (si tant est que quelque journal échappe encore au web – il y en a, comme le Canard enchaîné, qui refuse obstinément d’y entrer, comportement très vertueux et courageux, bien qu’on  puisse difficilement dire que, même uniquement sur papier, un journal comme le Canard ne vive pas de cancaneries).
   
    En fait, le négatif et le positif dépendent des critères par lesquels on évalue la valeur de l’information. Selon l’épistémologie véritiste d’Alvin Goldman, est bon tout processus ou institution qui maximise le nombre de croyances vraies ( cf « The Social Epistemology of Blogging,” in Jeroen van den Hoven and John Weckert, eds., Information Technology and Moral Philosophy (pp. 111-122), Cambridge University Press (2008).

   On peut justifier le blogging selon ce principe : certes il y a dans les blogs et dans internet en général un paquet monstrueux de conneries, mais on peut aussi espérer que l’ensemble de la dynamique de l’information évolue vers la vérité, ainsi que les modèles de Rainer Hegselmann le suggèrent. On peut aussi penser que les meilleures opinions survivront à la discussion, et que les croyances vraies les plus fiables survivront, au détriment des autres. C’était l’un des arguments de Milton dans son célèbre Areopagitica.

    Mais selon l’épistémologie postmoderne, c’est exactement l’inverse. Il ne faut pas du tout maximiser la vérité, qui n’est qu’un masque ou une illusion (ou les deux), mais l’information, qu’elle soit vraie ou fausse (selon le principe bien connu de symétrie des science studies, qui veut que faux soit aussi intéressant que le vrai, et même souvent plus intéressant). Il faut maximiser la circulation, le transfert. Le web est en ce sens l’outil postmoderne par excellence : il communique, mais sans qu’on ait à se poser la question de savoir si ce qui s’y trouve communiqué est vrai ou faux, connu ou pas. Il est l’instrument anti-épistémologique par excellence. C’est la conception que nous proposent les nouveaux prophètes du web, Michel Serres et son élève Bruno Latour. Serres est explicite :   "Mon grand espoir est que sur le réseau, le vrai pirate soit le pirate de la vérité, c'est-à-dire qu'il y lance tout." (Michel Serres, La rédemption du savoir, entretien Des autoroutes pour tous, revue Quart Monde, no 163, mars 1997). Passez l’info, c’est bien de toute façon, même si, comme dans le téléphone arabe, elle se retrouve déformée à l’autre bout du transit intestinal de l’information mondiale. Car cette doctrine ne semble pas très différente de celle des « Eolistes » dont parle Swift dans le Tale of a Tub (VIII) :

"For we must here observe that all learning was esteemed among them to be compounded from the same principle. Because, first, it is generally affirmed or confessed that learning puffeth men up; and, secondly, they proved it by the following syllogism: “Words are but wind, and learning is nothing but words; ergo, learning is nothing but wind.” For this reason the philosophers among them did in their schools deliver to their pupils all their doctrines and opinions by eructation, wherein they had acquired a wonderful eloquence, and of incredible variety. But the great characteristic by which their chief sages were best distinguished was a certain position of countenance, which gave undoubted intelligence to what degree or proportion the spirit agitated the inward mass. For after certain gripings, the wind and vapours issuing forth, having first by their turbulence and convulsions within caused an earthquake in man’s little world, distorted the mouth, bloated the cheeks, and gave the eyes a terrible kind of relievo. Atwhich junctures all their belches were received for sacred, the sourer the better, and swallowed with infinite consolation by their meagre devotees.”



-          “Pardonnez-moi, mais toute cette tirade contre le blogging me semble passablement hypocrite et de mauvaise foi. Ne bloggez-vous pas vous-même, et même juste à l’instant présent, et pas qu'un peu? Tu quoque

-          En effet, je m’y suis laissé prendre, malgré une très longue réticence, et pas cette fois seulement. Mais il est difficile de critiquer sans être, en quelque façon, à l'intérieur de ce ce qu'on entend renverser: Giordano Bruno était un prêtre, les principaux acteurs de la révolution française des nobles et des bourgeois, et il semble bien difficile de critiquer le blogging sans profiter de la diffusion d’informations qu'il procure (sans doute illusoirement: les vrais blogueurs savent faire leur poublicité et ne se contentent pas, comme moi, de poser leur ligne en attendant que cela morde (i.e que cela clique)). On doit bien admettre que si l’on n’a pas d’écrits sur le web, on risque d'avoir pour destin la confidentialité. J’ai voulu voir quel effet cela fait d’être un bloggeur.

-         Hum! Je ne suis pas sûr que vous échappiez à ce destin! Est-il si pénible? Mais vous-même n’allez-vous pas faire exactement ce que vous reprochez aux autres ? Répondre vite, sans réfléchir, railler et prendre un ton sarcastique, et finir aussi par être la risée des lecteurs ? De bullshitter vous aussi?

-          Certes, c’est un risque sérieux, et je suis même assez conscient d’être déjà tombé dans ces travers.

-          Alors pourquoi continuer ?Vous devriez raccrocher tout de suite.

-          Parce que cela me permet d’aborder certains thèmes que je traite à l'occasion, de manière dispersée, dans mes médias favoris – articles de revue et de journaux, et de les regrouper un peu. Cela me fait une sorte d'archive. Le blog relève encore, malgré l’invasion des images, de la civilisation écrite. Mais il n’y tient plus que par un fil. On verra. Si cela tourne mal, je ferai comme la plupart des blogueurs, j’arrêterai, par lassitude, honte, ou ennui.
 
 
PS janvier 2022 . Ce billet date de  10 ans. depuis tout le monde , ou presque est passé sur Twitter ou Face book ou Instagram. Le blog est devenu un truc de vieux. J'y reviendrai

19 commentaires:

  1. réflexion très approfondie du phénomène "blogs". Merci, je me suis détendue à lire tous ces portraits.

    RépondreSupprimer
  2. Merci! Helas je commence à illustrer les travers que je dénonce.

    RépondreSupprimer
  3. Amateur persévérant8 avril 2024 à 15:25

    Au croisement ... entre sang froid de la Machine et frénésie du feu humain qui la nourrit.
    Ptêtre un peu pompeux pour commencer... allez, j'le laisse. L'idée, entre autres hein, est que si depuis maintenant un certain temps la machine contribue à nous nourrir, il semble que nous glissions insidieusement vers le sens inverse. L'outil qui sert devenant l'Outil à servir. Et si l'engrenage ne se démonte ou nuance qu'en son cœur, nous sommes bel et bien dedans, plus ou moins en connaissance de cause et conséquences ou non, disons : articulés à nos prothèses récurrentes... en essayant d'éviter la greffe ou l'hybridation monstrueuse. Et, honnêtement, l'extraction partielle, le minuscule grain de silice... mais celui du pas de côté, qui enraye un peu la cadence folle de l'usine, n'est pas non plus heureusement impossible, à voir cependant lui-aussi son degré d'efficience. On ne vide pas l'océan avec sa seule petite cuillère, mais insistons : petitesse n'est pas néant ... Et si votre blog n'a pas les dimensions de certains phares aveuglants qu'on nous brandit à la face, il clignote et persiste, le bougre, et il lui arrive même de ressortir de la saturation ambiante, par le simple fait d'essayer de ne pas oublier, malgré nos travers, sa raison d'être : c'est à dire d'éclairer.
    D'abord votre article ... instructif, incisif, et d'une pertinence nécessaire. Qui m'a fait réfléchir, mais aussi sourire, ce qui ne gâche rien. Le titre est plus que joliment détourné ... Et le tableau de Rockwell, que je ne connaissais pas ..., d'une puissance nette terrible... prise en pleine tronche, dans le bon sens hein. Mais qui ne donne pas forcément envie d'être à la place de celui qui a à s'asseoir sur la chaise, soit dit en passant ... Le vis-à-vis fait d'autant plus sentir tout le poids potentiel de la dimension et diversité de l'attente, de l'interrogation, voire de la demande, dans les regards. En concordance parfaitement ajustée au sujet traité et au développement de votre propos. Donc, et que ce soit clair : sans flagornerie aucune, merci.
    Le carrousel présenté, implacable, mais pas sans nuance, défile dessine un tableau d'ensemble des tendances humaines qui résonne en effet avec nos meilleurs moralistes. Et puis, l'intervention du dialogue avec le contradicteur ... un classique en philo, mais vous l'introduisez avec une pointe supplémentaire d'alerte tonalité ludique. C'est clair ok, mais aussi c'est vif, tonique, mordant et parfois féroce, mais de façon proportionnée et jamais gratuite, prêt à se montrer compréhensif mais pas au prix de toute exigence. A la fois classique dans ce que peut avoir d'intemporel les travers du genre humain et au coeur de cet enjeu moderne de la technologie qui redistribue les cartes et les risques. Et d'une vraie lucidité : celle qui ne s'épargne pas trop aisément au passage.
    Un bémol toutefois : mon anglais est hélas insuffisant pour tout suivre du passage cité (mais je dois pouvoir en retrouver une traduction que je dois avoir quelque part, Swift étant une lecture que je veux faire depuis longtemps mais que je remettais à plus tard. Mon défaut d'autodidacte : trop de casseroles sur le feu en même temps, un manque de méthode.). Pour le reste, à voir si je puis y rebondir. Je dois bien avoir quelque cartouche à dédier au sujet. Mais je ne voudrais pas verser dans une certaine esbroufe verbale plus imbue de ses propres effets que véritablement cohérente et conséquente, que vous dénoncez avec finesse, et dont je ne suis pas à l'abri non plus.

    RépondreSupprimer
  4. Amateur persévérant8 avril 2024 à 15:26

    Un autre problème qui se pose, c'est qu'ici j'ai moins d'accès au sujet général sans passer par des observations plus personnelles sur mon rapport à l'informatique (dont je suis tout, soit dit en passant, sauf un spécialiste !). Je médite aussi la question du pseudo qui peut être une façon de se cacher, curieusement j'y voyais spontanément plutôt un signe de modestie... ou bien ... de non traçabilité mais pas du tout par rapport à mes éventuels interlocuteurs... à voir là -aussi si j'y suis bien au clair ... Vous avez raison, ça peut être une planque très pratique... pour assouvir à défaut d'assumer... Le choix de mon pseudo réside aussi dans le revers de l'ego-m'as tu-vu : le souhait un peu faussé de modestie trop revendiquée ? Je trouve qu'un des problème en psychologie, du moins celle dite des profondeurs, et qui montre peut-être quelque chose de ses limites, c'est que les contraires peuvent bien plus s'y chevaucher... Pas forcément contradiction, m'enfin... Un désir peut se contredire, une volonté non, en principe. Mais là-aussi la frontière est-elle toujours bien nette ? C'est l'action qui tranche sans doute et l'exercice sur la durée, la mise à l'épreuve de la constance (L'homme n'est pas que le "petit tas de secrets" dénoncé par Freud, l'homme est aussi ce qu'il fait, dit en gros Malraux dans les Antimémoires. Mais Malraux a aussi triché sur sa biographie, et pas que pour se couvrir, mais manipuler "sa petite légende" sur et pour son compte ... Ce qui ne lui enlève pas au demeurant son courage et ses qualités réels, bien qu'un peu surgonflés ... Il y aurait donc un jeu de décalage possible, plus ou moins important selon les personnes, entre ce qu'on est, fait et...dit... ou... écrit ... Alors, si on rajoute en plus le couvert de l'anonymat du blog, le risque d'y lâcher la bride à certains vices s'accroît en effet ...). Rester au clair avec soi-même et les autres, c'est aussi un travail de vigilance à remettre sur le métier. C'est ici peut-être banalement dit, et peut-être pas assez...affirmé (?), mais que j'ose croire : pas qu'un rappel toujours inutile.

    RépondreSupprimer
  5. Amateur persévérant8 avril 2024 à 15:26

    Quant aux motivations qui peuvent pousser à intervenir sur un blog, comme pour toute interaction sociale, ça peut certes s'avérer plus ou moins clair ou ambigu : il peut y avoir un réel désir d'échanger et de contribuer, sans être un saint en tous points : le désir de briller, voire au détriment de l'autre, ou soif plus ou moins jugulée de quelque reconnaissance de l'autre selon des critères qui peuvent varier, et cela même dans le même individu..., avec "plus ou moins" comme objectif de mutualiser un intérêt (ou d'imposer les conditions d'un échange : je te donne donc tu me dois, fort discutable..) ou au contraire de vouloir hiérarchiser les rapports, plus ou moins de façon juste ou gratuite pulsionnelle, voire de façon très violente. On est plus souvent dans des jeux de degrés que l'assertion claire, quand le ressort procède davantage d'une certaine psychologie que du sujet apparemment traité. Mais là-aussi mon propre usage récurrent des "plus ou moins, peut-être, il semble..." ne va "sans doute" pas qu'à mon bénéfice. Là je pense à d'autres choses que j'ai lu de vous. Mais on ne se refait pas en un jour ... Ça dépend quand même justement de ce dont on parle, non ?
    En tous cas, dans le champ de ce dont vous parlez, la pique contre Wittgenstein est plutôt bien envoyée. Mais ce que vous dénoncez avec acuité me semble justement, malgré tout, ne pas réduire totalement une tension différentielle ... entre vérité et disons complexité de nos jeux de langage, ne serait-ce que lorsque vous admettez la difficulté de demeurer cohérent. Bien-sûr la critique du bullshit de Frankfurt est d'une grande pénétration psychologique et importance morale. Mais, c'est une nuance ici hein, ça me rappelle la critique que Flaubert fait de la bêtise (attention il y a certes des différences : notamment la bêtise peut ne pas être qu'intentionnelle ou complaisante, elle peut être muette et désarmée), j'ai toujours eu tendance à me dire : la dénoncer chez les autres implique de ne pas s'en croire trop facilement exempt soi-même. Les moralistes les plus subtiles s'autorisent à se comprendre dans la critique. Et vous le faites (ce ne pas le cas de tous, analytiques ou pas hein), ce qui est à votre honneur. Et vérité me semble bien condition incontournable du sens. Difficulté ne signifie pas impossibilité. Mais qu'entre vérité sue et son application en acte et en cohérence, il y a un pas d'engagement qui peut parfois ne pas être évident à effectuer, surtout dans le champ de l'application morale (mais je mélange peut-être un peu trop ici les domaines épistémiques et éthiques ? Je pressens une faille dans mon raisonnement. Et peut-être il y a un lien avec le fait que je ne connais pas directement et très peu l'oeuvre de Frankfurt ...?).

    RépondreSupprimer
  6. Amateur persévérant8 avril 2024 à 15:28

    Retour à la blogosphère. Qu'on ne soit pas chez les bisounours ok, qu'un certain vernis culturel masque beaucoup plus primaire en nous : genre une pulsion plus brutale (ou pire : mélangée à un...calcul ? Voire une jouissance de détruire l'autre...), c'est autre chose. Question de juste mesure alors. Donc de vérité comme arbitre, oui. Quant à déceler le masque, il peut être autant dans l'assurance ostensible affichée (essayant de brouiller les cartes lorsque la démonstration n'est pas sans failles) que dans le consensus trop facile. Certains passent habilement de l'un à l'autre selon qu'ils croient avoir une domination ou qu'elle leur échappe (entre critiquer sur un point, puis dire "D'accord" à votre réponse, il leur manque souvent reconnaître "Ok j'ai jugé un peu vite") ... je l'ai remarqué chez certains sur votre blog, et j'y reconnais d'autant mieux la pertinence de votre économie d'interventions qui ne s'y laisse pas tant attraper. Complexe nature humaine en tous cas. J'avais lu un truc une fois sur l'avènement de la conscience (qui est déjà un terme et une faculté qui nous échappent un peu)... qui passerait par la nécessité d'une préhension, de sentir son environnement par sa ... résistance, puis de le surmonter (ça sent le Nietzsche). Je ne nie pas tout de ce type d'argument, j'espère simplement qu'elle ne se résume pas à ça ! Bien que l'espérance soit rarement un signe de capacité à réaliser pleinement (Spinoza). Disons alors que j'ose croire à la vérité autre possible de ce qui motiverait principalement le Vivant et pas juste parce que ça m'arrangerait moi seul. Juste un poil de coopération pour atténuer équilibrer l'aspect compétition -qui peut stimuler mais aussi nous prendre à notre propre jeu jusqu'à nous écrabouiller tous (En détournant V. Hugo : et s'il n'en reste aucun, "Je" ne sera pas celui-là ...hé hé ... Et notons en passant l'ambiguïté potentielle : que mon je n'est pas mécontent de lui pour celle-là... tout dépend alors si le but est bien de se relier à autrui ou uniquement à son autosatisfaction...mais s'il y a langage, et donc question aussi de la justesse possiblement commune du propos : alors il n'y a pas heureusement forcément dualité entre les deux ...mais vous avez raison : sans vérité aucune, dialogue d'autistes ...), ceci dit cependant sans idéalisme irréaliste manichéen et naïf non plus. Alors bien-sûr, le désir prioritaire de faire reluire sa seule petite personne est humain et à surveiller en chacun de nous. Il y a en nous ce désir de clarifier, qui peut heureusement ne pas toujours être duel à quelque motivation plus propre à l'affect, et il y a ce retour en nous de l'ambiguïté qu'il ne s'agit pas de nier, mais justement en effet, je suis d'accord hein, pour ne pas tout lui céder non plus.

    RépondreSupprimer
  7. Amateur persévérant8 avril 2024 à 15:30

    J'ai hésité d'ailleurs à envoyer un commentaire, puisque c'est ancien je ne suis pas sûr de la réception.., ce qui vous donne une indication d'à quel point je suis au fait du fonctionnement de tous ces outils technologiques et de ce qui s'y fait ...
    C'est aussi une première pour moi d'intervenir sur un blog, ou quoi que ce soit d'autre d'internet (à l'exception notable du mail mais qui n'a rien de public, sauf peut-être pour les data-center...je connais peu le sujet, moins peut-être que le sujet ne me connait, hé hé, donc à tort ..., encore que si je me fie à ce que leur IA essaie parfois de me fourguer, ils sont encore loin d'être au point sur tout, leurs algorithmes de... ciblage ? Probabilisme ne vous rend pas automatiquement sniper, mais ça dépend aussi de l'activité de la cible ...), je n'ai d'ailleurs peut-être pas encore tous les codes de comment on s'y prend, mais en tous cas si j'ai choisi le vôtre de blog pour intervenir, et enfin oser me lancer, vous vous en doutez, ce n'est tout de même pas par pur hasard croisé au détour d'un clic compulsif ...

    La suite demain ou un autre jour, aucune obligation urgente, en fonction de votre réception. Et selon préférence : je peux répartir davantage sur plusieurs jours ou tout envoyer d'un coup des. Quoi qu'il en soit, cela portera plus frontalement (mais sans gourdin ...) sur le rapport à la technologie.

    RépondreSupprimer
  8. Merci de ces commentaires (trop) abondants. Je crois que mon blog a peu de succès (depuis dix ans) parce qu'il ne joue pas sur les pulsions qui font le succès de Face book ou Twitter. Je n'ai pas l'ambition d'y faire des texte littéraires à proprement parler, mais des commentaires décalés et ironiques. L'actualité est présente, mais à distance. La plupart du temps mon objectif est de commenter mes autres écrits, qui ne sont pas sur ce blog, mais publiés ailleurs, dans des canaux traditionnels ou en revue. Ainsi vous remarquerez que Benda est souvent présent. Il est pour moi une sorte de poste avancé de notre présent à son époque. Et je n'entends pas instaurer nécessairement des discussions.

    RépondreSupprimer
  9. Amateur persévérant9 avril 2024 à 11:04

    D'accord, je comprends. Merci de les avoir pris tout de même en compte et veuillez m'excuser de mon manque de modération, et peut-être de discernement. Je continuerai à suivre votre blog et je verrai si je peux parfois proposer une brève intervention qui puisse y être pertinente dans le sens que vous indiquez. Je peux sans doute dégager de la "masse" quelques traits brefs sur ces pulsions qui règnent dans les réseaux et ce qu'un certain rapport à la technologie implique (j'en avais quelques uns tout de même...bah laissons là). Dans la mesure où je peux rester dans la ligne que vous privilégiez. Je suis sans doute le plus souvent trop "littéraire " en effet par rapport à celle-ci. Je saurais mieux m'y prendre à l'avenir, si je devais un jour intervenir à nouveau sur votre blog.

    RépondreSupprimer
  10. Bavard et Trébuchet6 avril 2025 à 14:14

    Nos deux compères tâtonnant toujours dans le noir – ce grand vide obscur de la Bibliothèque d'Aenon, téléportés malgré eux dans une autre salle (ou dimension) tout aussi opaque...

    – Trébuchet, j'ai le pressentiment que nous avons été piégés dans un univers-bulle.
    – Ah toujours tes intuitions Bavard, ta "PréScience", ta satanée "PréScience", tu m'en reparleras... Mais, qu'entends-tu au juste par "univers-bulle", je ne comprends rien ici Bavard ?!
    – Et bien, à l'image des personnages d'une BD, nous sommes, dirait-on, enfermés par un malicieux génie dans une série de cases labyrinthiques, de sorte qu'il nous incombe maintenant de trouver par nos propres moyens l'éventuelle sortie.
    – Comme des rats d'expérience ? Bouh mais c'est répugnant !

    Trébuchet déposa très délicatement son index droit entre les lèvres, renonçant ainsi momentanément à l'utilité emblématique de son pouce préhenseur, avant de s'extraire brusquement de sa pose méditative tel un lézard chassé de sa torpeur par une ombre fugitive.

    – Une chose Bavard tout de même : tu vois bien qu'il n'y a aucun dessin ici..
    – Oui Trébuchet, pour autant que toi et moi voyons tous deux clairement dans cette profonde obscurité immatérielle. Mais en effet, je le constate comme toi. (Réfléchissant à nouveau) Je veux dire : nos êtres idéels sont peut-être projetés sur les parois d'une mystérieuse caverne, non pas par une étrange lumière de derrière nous, mais par des souffles et des signes comme ces journaux savants imprimés sans aucune image à partir d'un code source insaisissable.
    – On se joue de nous Bavard, on se joue de nous, et je n'aime pas ça !
    – Ne prends pas la mouche Trébuchet, nous voilà – qui sait – d'homériques personnages de BLOG ! Il nous faut maintenant enquêter mon frère, "en-quê-ter" te dis-je, pas le choix si l'on veut avoir une toute petite chance de devenir un jour un peu libres !

    RépondreSupprimer
  11. Bavard et Trébuchet6 avril 2025 à 14:15

    Blog : Ancêtre du Gloups. Contemporain du "parler en langues" pratiqué par les "sapiens sapiens" (ancienne nomenclature) du clade bilatérien et caractéristique de l'ère du Silicium, dite "période des supports universels" (tablettes tactiles, idéogrammes logico-philosophicus sur tractatus, fichiers papyrus "POWERPNT.EXE"...), qui précède la grande radiation évolutive aeonienne.
    Homo Blogus fut synchrone de Homo LGBTQIA+. Bien que d'un coefficient d'encéphalisation significativement moindre, le premier est considéré dans l'arbre évolutif de la Conscience comme une variété proche du second, néanmoins à part entière. Les séquençages nucléaires longitudinaux ont attesté un flux de gènes et une interfécondité entre les deux sous-espèces qui témoignent d'une communauté d'échanges et de croisements précoces, d'une durée parfaitement négligeable sur le calendrier cosmique.
    Le "blog" est considéré dans la Classification du modèle standard des Essences naturelles comme l'une des cinq grandes causes de l'extinction du LTT.

    LTT (Little Tom Thumb) : Taxon avorté. Minuscule et mystérieux spécimen de "bipède sans plume" (ancienne nomenclature) disparu inopinément et retrouvé en un unique exemplaire il y a 2 M d'unités temporosidérales, avec, dans ses pupilles grises et glacées conservées à même la poussière de cendre d'Eurasia, ce graphème oculaire resté énigmatique : "Fora lon' time I-wanna goto bed early."

    RépondreSupprimer
  12. Bavard et Trébuchet13 avril 2025 à 16:41

    Bavard tomba par hasard sur un gros livre traitant de la nature humaine. Encore tout recouvert de poussière, le lourd compendium lui glissa des mains et lui heurta douloureusement l'astragale. Il lanca quelques jurons en l'air, puis, comme pour se soulager, en rédigea aussitôt une définition pleine de bile, qui ravit Trébuchet. Celui-ci en ressentit un suspect devoir de répondre, ce qu'il fit sans attendre par le concours d'une autre définition de son cru qu'il estimait secrètement meilleure que toutes celles dont Bavard eût été capable, notamment et entre autres choses, parce que les siennes "à lui" lui étaient toujours soufflées à son oreille à la faveur d'expériences personnelles dignes d'être vécues, pensait-il.
    Pendant un temps, les deux compères ne se parlèrent plus directement, hors ces quelques échanges dépouillés et austères de lexicologie avancée. Ainsi, le couple se portait-il mutuellement des coups dans le noir en fleurettistes borgnes, mais respectueux. Une nouvelle rivalité chevaleresque naquit et s'installa sourdement entre eux...

    RépondreSupprimer
  13. Bavard et Trébuchet13 avril 2025 à 16:42

    Nature (humaine) : Il serait difficile à l'homme de ne pas s'en attribuer une, bien qu'un tel refus ne fît aucune différence. Des sceptiques l'ont soigneusement récusée point par point : ils n'ont fait qu'en nourrir la notion, le plus souvent en la compliquant.
    Ceux qui la réalisent (plus parfaitement) ont un petit ruban cousu discrètement à leur veste, convertible (voir conditions) en points karma ; les autres un bonnet d'âne, et plus généralement, les deux à la fois.

    Karma : Des meilleures chances pour votre avenir. Existe sous forme de points et de programme fidélité de nos jours. Ainsi :

    « Rejoignez le programme de fidélité Karma et cumulez des points !
    - Chaque action vous fait gagner des points que vous pouvez ensuite transformer en récompenses exclusives 🎁.
    - Vous devez scanner votre carte lors de vos différents passages pour les accumuler.
    - Identifiez-vous et bénéficiez d'un nombre de points en fonction de votre panier. (Pour en savoir plus sur les règles et la pondération des points, veuillez consulter le site d'informations.)
    - Afin d'encourager vos gestes dits éco-responsables (produits de seconde vie, services de localisation et d'entretien), nous doublons vos points !
    Nous organisons également des événements spéciaux avec des règles particulières. Tenez-vous informé(e) de ces offres en recevant les communications du programme.
    Le programme de fidélité vous attend directement dans l’app !
    Suivez l'évolution de votre solde de points en temps réel 🤩
    Et découvrez comment booster votre cagnotte de points grâce aux défis proposés.»

    RépondreSupprimer
  14. Bavard et Trébuchet14 avril 2025 à 19:43

    Une querelle féroce s'était engagée entre les deux bons hommes, dont l'origine déjà obscure s'était perdue quelque part dans le dédale des sombres couloirs qu'ils arpentaient depuis lors. Toujours est-il que la dispute avait pris un tour orthographique inattendu. Bavard soutenait avec force conviction qu'on devait écrire le mot "iʁasjɔnalism", avec un "r" et un "n", selon l'usage et la tradition dite "nationaliste" ou "nationale-rationaliste", tandis que Trébuchet, qui n'en démordait pas moins, défendait quant à lui la position dite "rationnelle conventionaliste", autrement dit, la position diamétralement opposée pour laquelle il était de pure convention de décider quelque chose de déterminé dans un sens ou un autre sur un cas précis comme celui-ci.
    L'un et l'autre se montrèrent prodigues d'arguments convaincants, hélas incompatibles. À défaut d'une nécessité et d'une réalité linguistique suffisamment indépendante, ils ne purent jamais se mettre d'accord en dehors du fait, tout de même, que le mot en litige ne devait certainement pas s'orthographier avec deux "r" et deux "n", excipant pour cela d'un prétendu principe de symétrie à l'œuvre en vertu duquel on pouvait et devait à leurs yeux exclure aussi bien l'occurence du mot écrit sans "r" et sans "n" – et pour cause – que la solution symétrique, a priori moins évidente, exhibant deux "r", deux "n". Aussi, ils finirent par s'accorder minimalement sur la beauté de ce terme logique, de sorte que le problème du nombre exact de "r" et de "n" à considérer, s'il ne s'effaçait pas encore complètement, leur apparut tout à coup éminemment secondaire et superficiel ; et c'est donc sur ce demi-succès qu'ils se quittèrent, si jose dire, sans haine !
    Cependant quand Bavard commença à vouloir démontrer à Trébuchet qu'en dépit des apparences il n'était qu'un fieffé "irrationaliste" – au motif qu'on ne pouvait être rationaliste et irrationnaliste à la fois – il emprunta une voie si dénuée de difficultés et également d'intérêt (celle qu'emprunte ordinairement monsieur Tout-le-monde avec aisance et naturel) qu'il s'emberlificota lui-même dans la simplicité de son raisonnement, si bien qu'il finit par aboutir, contre toute attente, à la conclusion totalement inverse de celle à laquelle il souhaitait pourtant arriver.
    Trébuchet en rit, ce qui acheva de rendre Bavard honteux et furieux. Car, c'était non seulement lui-même, mais également toute son époque qui venaient à présent – et insidieusement – de lui infliger un cinglant et imprévisible camouflet.
    Trébuchet, tout allègre, se hâta alors d'en sceller une définition sûre et correcte, griffonnée sur un coin du mur de la grande et lugubre bibliothèque d'Aenon dont le malheureux duo était toujours captif.

    Irrationalisme : Fait un nœud aux cerveaux des plus intelligents. On s'en passerait bien s'il n'était aussi fécond. Un bon usage de la raison stipule néanmoins de n'y recourir qu'avec parcimonie, de préférence en dernier ressort ou en désespoir de cause, nonobstant la répétition d'exemples constamment vérifiés d'irrationalisme heureux, ainsi ces vainqueurs à l'EuroMillions dont la soudaine fortune n'a justement tenu qu'au déraisonnable et à la surdité d'une vérité, à savoir que 100% de ses gagnants n'eussent jamais tenté leur chance s'ils se fussent montrés parfaitement rationnels.

    RépondreSupprimer
  15. Bavard et Trébuchet30 avril 2025 à 15:18

    Bavard s'accorda un peu de répit pendant que Trébuchet, toujours fâché, adoptait, à titre provisoire et purement expérimental, la barbifiante posture du boudeur solitaire. Bien qu'elle le reflétait mal, il en donnait tout de même une impression de naturel. Tout au fond de lui, Trébuchet forçait sa nature. Cependant, il s'y tint mieux qu'un ascète musculeux supportant impavide une pile d'encyclopédies bras tendu. On pouvait dire qu'il réussissait dans cette pénible tâche moins par orgueil de pénitents que par la détermination silencieuse de se prouver réellement quelque chose lorsque l'esprit s'ennuie.

    Pendant ce temps-là, Bavard s'était saisi discrètement d'un volume en vieux moleskine légèrement écorné, prélevé dans le cœur nucléaire de l'immense Bibliothèque. L'ouvrage, frappé en lettres capitales et gothiques d'un gros titre sybilin, redoubla immédiatement l'attention de Bavard, qui lut : "OUVROIR DE L'ESPRIT POTENTIEL".
    À la première page qu'il ouvrit au hasard, il tomba sur un article aussi éclairant qu'énigmatique, commençant par ces mots :

    « Avoir de l'esprit et l'enseigner aux autres. »

    Suivi d'un bref et curieux dialogue auquel Bavard eut singulièrement l'impression de n'être pas tout à fait étranger :

    « "Je crois que la débilité gagne du terrain tous les jours" déclare ouvertement celui-là en pensant évidemment à l'autre.
    Et l'autre de se désoler à part soi :
    "Je lui ai appris à viser. Et maintenant il me tire dessus !"»

    Bavard, fiévreux et pensif, releva quelques instants la tête au-dessus du précieux livre qui tenait entre ses mains, et comme un enfant qui reprend de l'air pour faire une plus longue traversée de piscine devant le regard arrêté d'un bon chien, replongea aussitôt dans la profondeur diaphane de cette page. Car ce qui avait commencé comme un dialogue un peu mystérieux semblait prendre maintenant la forme finissante d'un sage apologue oriental :

    « Centralité de l'Autre. Point de grandeur, point d'élévation de soi sans la contribution déclinante des autres. Encore qu'une telle contribution ne serait pas grand grand chose privée des formes esthétiques du "trait d'esprit". Sans le charme des insuffisances d'autrui, on ne saurait tout simplement pas si l'homme a de l'esprit – esprit de finesse ou de géométrie. Son petit peu d'esprit lui vient justement de ce qu'il y a beaucoup à dire et à se grandir sur la petitesse viciée de ses semblables, et à prendre son vol de cette hauteur. Les défauts environnants ne sont une objection ni à la spiritualité, ni à la sagacité, ni à la sagesse. Bien au contraire. Ils ont toujours été le marchepied des créatures subalternes rêvant d'atteindre des hauteurs plus célestes. On marche merveilleusement sur le plat d'une route illuminée de l'éclat de la lune pourvu que cette flaque de lumière venue de l'espace condescende à décliner jusqu'à soi. Les badauds n'aiment rien tant que la contemplation du spectacle lointain des hautes cimes dès lors qu'ils se savent épargnés de la longue route qui les en séparent, assurés qu'elles feront elles-mêmes l'effort fastidieux du chemin entre elles et leurs yeux. N'oublions pas : l'abaissement est, pour le petit homme volontiers contemplatif, l'unique condition d'accès aux choses les plus élevées, sans quoi il tomberait d'ennui bien avant de pouvoir être présenté. Que cesse, ici bas, toute bassesse dû l'esprit se retirer de la saveur du monde. C'est pourquoi, dans cette façon qu'a l'esprit de fonctionner, on trouve, pour finir, autant de force à condamner la décadence et la déliquescence avérées des autres qu'à l'encourager et à l'entretenir. Et si c'est entrepris avec, de surcroît, une pointe de volupté maligne, c'est, parait-il, pour le perfectionnement et le bien de l'esprit lui-même.
    À quand une journée mondiale de l'esprit ? »

    RépondreSupprimer
  16. Bavard et Trébuchet6 mai 2025 à 10:50

    Bavard, qui ne se sentait plus observé depuis un certain temps, avait relâché en lui toutes formes de tensions et de contentions par lesquelles habituellement les hommes éprouvent entre eux leur meilleur profil. Il se tenait là paisiblement faisant ainsi saillir nonchalamment une corpulence animale native et instinctive, immédiatement familière au premier maquignon qui eût porté son regard dans cette direction en quête d'une belle bête. La ressemblance devenait des plus frappante. Bavard faisait physiquement penser à un âne, à ce détail près (qui aura son importance par la suite) que la tête avait la forme effective d'un gros chou-fleur, ainsi que l'avaient, dit-on, les poètes courtois du XIe et XIIe siècle, tels Bernard de Ventadour ou Jaufré Rudel les biens nommés (ou plus proche de nous, l'occitan Patrick Boutot, le fameux, après la Peste noire). Trapu, aux épaules en boules, sa bonhommie naturelle contrastait nettement avec le physique, certes moins bourru, mais mal equarri et dégingandé de Trébuchet, élancé et sec comme un cou de girafe. Mais la dureté du caractère en revenait cependant plutôt au second dont la férocité pouvait, à la différence du premier (adroitement taillé dans un bloc de pure jovialité), revêtir un habit de moine et de tendresse trompeur. Au fond, l'un et l'autre se distinguaient aisément comme un troubadour d'un ménestrel, et plus aisément encore, à la lumière d'un vitrail, comme le Bénédictin du Cistercien et Cluny de Cîteaux.
    La tête de Bavard était assez pleine au grand regret de Trébuchet qui cherchait toujours la sienne dans la nuit épaisse, et aurait tant voulu mettre la main dessus pour trouver là dans sa propre obscurité et le creux résonnant de son crâne une raison enfin suffisante (et rassurante) à son "manque d'esprit" légendaire.

    Bavard, un peu honteux, n'avait rien révélé à Trébuchet de sa lecture privée, celle de l'Ouvroir consulté à l'abri de son regard avec des éperduments coupables. Or, après avoir examiné longuement le calendrier des saints et des fêtes, le ragotin au physique de moine blanc fut soudain traversé d'un éclair aveuglant – du moins en eut-il le sentiment – et conclut derechef à une "idée de génie" : Décréter une journée mondiale et universelle de l'esprit !

    Aussi, en fit-il part sur le champ à Trébuchet, dont la réception et l'excitation, malheureusement, ne furent pas à la hauteur des attentes du "Cistercien". Car Trébuchet, qui n'en avait pas eu l'idée le premier, en souffrit gravement, et prit donc aussitôt le parti de la critiquer. Sans jésuitisme et en bon Bénédictin de caractère qu'il fut, ce dernier se montra bien décidé à ne rien céder et s'arma en conséquence de cette vertu qu'on appelle "courage de la vérité" afin d'en découdre, comme de juste, sur le champ de bataille des idées en véritable homme d'honneur. Un débat filandreux, mais animé et argumenté, s'en suivit, à ceci près qu'on y démontra plutôt ce qu'on nomme "courage des idées" sur fond d'une réalité fortement à la baisse qui n'était plus que d'un lointain rapport avec ce que les deux belligérants avaient en tête et qu'ils avaient pris l'habitude de désigner flatteusement par : "champ de bataille de la Vérité".

    RépondreSupprimer
  17. Bavard et Trébuchet6 mai 2025 à 10:55

    – Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus, se défendit Bavard. Nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l'esprit critique, moteur du PROGRÈS , n'existerait même pas. Tout comme écrire, lire, c'est protester contre les insuffisances de la VIE !
    – Mais enfin Bavard, reprit Trébuchet d'un air visiblement agacé, comment peux-tu imaginer que l'esprit se laisse "décréter" ? Qui plus est, une seule et petite journée, là où il aurait fallu, à la rigueur, une année jubilaire ?!
    – Oui parfaitement, rétorqua Bavard qui n'entendit point la question. C'est une guerre et une guerre se décrète mon cher Trébuchet ! Il nous faut une "bonne guerre à la papa", en bonne et due forme, une guerre réelle, et non idéalisée, avec un déclenchement inaugural et une déclaration militaire dans les termes officiels de ce qu'il y a de plus strict et discipliné ! Une guerre à date fixe, et non à échéance molle !
    – Mais une guerre, Bavard, prend nécessairement fin un jour ! Imagines-tu ? Qu'adviendra-t-il alors une fois l'"esprit pacifié" ?

    En lançant ces mots Trébuchet réalisa, mais un peu tard, l'inanité de son argument. Car, au moment où il prononçait l'expression "esprit pacifié", il prit instantanément la mesure de la contradiction et finalement de l'impossible synthèse de l'Esprit et de la Paix qu'il défendait avec passion, de sorte que s'imposait maintenant à lui, avec une implacable nécessité, l'idée de "guerre perpétuelle" à laquelle Trébuchet avait justement déclaré la guerre depuis le début des hostilités avec Bavard.
    Une fois de plus, en voulant prouver le tort de son vis-à-vis, Trébuchet venait de faire un nœud à son esprit. Un nœud si solide qu'il n'en retrouvait point la technique pour le défaire – à part le couper. Et c'est maintenant à ce nœud gordien et labyrinthique que tout son poids sustentait malgré lui, avec effroi, au-dessus d'un vide qu'il n'avait jamais soupçonné, les jambes pendantes, balançant et s'agitant en tous sens, tirant verticalement sur les boucles de ses lacets. Un vertige pénible saisit le pendeloque. Aussi, fit-il d'abord des petits mouvements inutiles et indéchiffrables de la tête. Il se tut quelques instants, faisant comme si Bavard n'eût rien remarqué, puis, par une brusque et incompréhensible manœuvre dont seule la panique est capable, il empoigna son compère par les mots et, avec une force de persuasion inédite qu'il ne se connaissait pas jusque-là, l'entraîna tout de go sur un tout autre chemin de l'esprit – chemin également bordé de précipices –, tel un chauffeur de nuit qui eût fait faire à son véhicule une imprudente embardée pour éviter au dernier moment un attroupement de ragots effarouchés par les phares, en train de crotter dans le noir sur le bord d'une route meusienne déserte et étroite.

    RépondreSupprimer
  18. Bavard et Trébuchet6 mai 2025 à 10:57

    – La question, reprit Bavard d'un ton évasif mais ferme, la question n'est pas là. La vraie question philosophique, Trébuchet, ce n'est pas "être ou ne pas être ?", ni "être réel ou être idéal ?", non Trébuchet, la question est ...(et après une hésitation vite absorbée, recouverte d'une voix devenue étrangement nasillarde)...la question est "Est-ce que tu l'as vu mon cul ? Est-ce que tu l'as vu mon cul ?..."
    Et Bavard de dégoiser les paroles d'un lieder inimaginable composé à partir d'on ne savait quel esperanto avorté, en train de se dandiner l'arrière-train devant Trébuchet interdit et aphone, qui manifestement ne s'y entendait guère en volapük capiteux et autre langage mélodique et ésotérique à vocation universelle. Tandis que le troubadour à la grosse tête de chou-fleur faisait maintenant danser l'un contre l'autre ses genous potelés, tout ambiancé par le rythme frénétique et ensorcelant des mots qui sortaient mécaniquement par tous les trous de son corps en sifflant comme des gaz d'échappement d'une étrange machine pneumatique, gesticulante et sonore.

    (Et ceux qu'on voyait danser étaient pris pour des fous par ceux qui ne pouvaient pas entendre.)

    – Sans musique, s'égosillait Bavard affreusement rouge et suant à force de s'agiter et de s'époumoner à souffler dans le kazoo, sans musique la vie serait une erreur mon cher Trébuchet ! Nous devrions considérer comme perdu chaque jour où nous n'avons pas dansé au moins une fois. Allons, Trébuchet, faites comme moi vous dis-je !!

    RépondreSupprimer
  19. Bavard et Trébuchet6 mai 2025 à 10:59

    (Petit glossaire à usage des aventures de Bavard et Trébuchet)

    Troubadour : Patrick Boutot. Trouveur interprète es tubes. Faiseur de chansons populaires sachant pousser la chansonnette. Antonyme de rabat-joie. Beckett l'a résumé d'une formule prophétique : "When you're in the shit up to your neck, there's nothing left to do but sing."

    Kazoo : Tout un symbole. Mirliton pour époque désopilante. Sorte d'amulette passée au cou des malheureux. Le charme typique de l'instrument festif et enfantin. Pensez que sans lui, "Le Petit Bonhomme en mousse" n'aurait jamais vu le jour !

    Tube : Œuvre (musicale) à succès.
    Cantilène élevé au rang de génie commercial après l'invention du gramophone.

    Époque : Il en est, dit-on, des idéales, bien que tous n'en ont connues uniquement des réelles.

    Idéal : Imaginaire désirable (en) tant qu'il n'est pas réel.

    Réel : Imaginaire peu douteux (en) tant qu'il n'est pas désirable.

    Géni-al ! : Mot-valise très à la mode chez la jeune génération. Résultat de Génie + Idéal.
    Se prononce en détachant distinctement les syllabes. Alternative au très populaire "Excellent !" qu'il tend à supplanter.

    Génie : Pointu et pénétrant. S'utilise d'un côté comme de l'autre : l'esprit d'élite côté lame, le simple d'esprit côté manche. S'en méfier comme d'un sabre à portée d'enfant. Antithèse du polymathe. Épouvante les vieilles demoiselles, les coquettes dondons et les sensibilités délicates.
    En avoir est déjà extrêmement douteux, en être affublé une incisive caractérisée pour vous nuire en toute finesse. Tend à devenir une figure de style tranchante aux époques émoussées, moyennes ou mauvaises. Par exemple, devant un mathématicien lénifiant, une dame du monde, toute occupée à réprimer un bâillement intempestif, s'exclamera d'une main devant la bouche : "Aaaah...mais quel génie cet homme !" Antiphrase par excellence.
    On n'y recourt jamais autant qu'en période creuse, surtout dans les salons et les cabinets. Il est à noter que les époques qui en ont cruellement besoin sont celles qui en parlent le plus.
    Ingrédient publicitaire à succès entrant dans la fabrication de bonnes marques et de bons slogans. "Génie sans bouillir, génie sans frotter", « Maggi, Maggi, et vos idées ont du génie » "GIFI, des idées de Génie"...

    RépondreSupprimer