Les organisateurs de la cérémonie d’ouverture très réussie des Jeux olympiques de Paris se sont défendus d’avoir cherché, dans leur défilé carnavalesque d’images évocatrices de la France et des mondes multiples auxquels elle est associée, à privilégier l’une d’elles – reine décapitée, dieu bacchique schtroumphant, apôtres drag queens – et les symboles qu’elles éveillent.
Ils n’ont, nous disent-ils, voulu choquer personne, ni catholiques crispés ni fachos bornés, et seulement illustrer, par leur kaléidoscope kitsch, l’état dispersé du monde se réfractant dans la France. Pourtant, les justifications de l’un des concepteurs, Patrick Boucheron,
ne sont pas convaincantes quand il explique (dans son entretien du 27 juillet dans Le grand continent[1] ) avoir « voulu parler d’universel, mais sans être dans l’universel surplombant », en se référant à ce que « Souleymane Bachir-Diagne, à la suite de Maurice Merleau-Ponty, appelle un universalisme latéral, horizontal, qui prend en compte la diversité des points de vue ».
Cette scie de toutes les discussions récentes autour de l’universalisme, qui consiste à chercher à avoir le beurre (l’universel « pluriel », « divers ») et l’argent du beurre (l’unité de l’universel quand même) cache d’énormes confusions, que le moindre Abélard, grand penseur médiéval des universaux, n’aurait pas manqué de discuter avec une Héloïse parisienne. Un concept universel est ce qui subsume, comme disent les logiciens, des particuliers. Par exemple « chien » subsume Médor, Mirza, les labradors, les bassets. Être subsumé, contrairement à ce que les adversaires de l’universel abstrait laissent quelquefois entendre, ce n’est pas être soumis ou gouverné par l’universel : tous ces chiens sont égaux sous le concept chien. Cela ne les empêche pas d’être divers, d’avoir les uns des poils longs, les autres des poils ras, ou le museau court. Bien sûr certains, les universalistes au sens logique, diront que l’Espèce chien existe indépendamment de Médor et de Rantanplan, alors que d’autres, les nominalistes, diront qu’elle n’existe que dans les particuliers. Ces derniers préfèreront sûrement, surtout s’ils organisent des spectacles féériques, les images particulières au concept abstrait. Mais si l’on se dit universaliste, on ne peut pas être les deux. Il y a bien quelque chose de commun entre Médor, Mirza et Rantanplan qui fait d’eux des chiens, mais on n‘obtiendra pas de chien latéral en prenant un petit bout de Mirza pour le transférer dans Rantanplan, car on chercherait alors Mirza en vain. En réalité l’universel n’est pas comme un gros Chien, surplombant les particuliers canins. Il est en eux, non pas au sens où il les soumettrait, mais au sens où sa règle doit être explicitée et construite.
Ce point élémentaire, qui s’applique aussi quand l’universel porte sur des droits, se transfère aux discussions interminables qui opposent les « universalistes » et les « pluralistes » dans le paysage monotone de nos idées politiques, engendrant notamment les querelles entre « anti-wokes » et « wokes ». Un universel véritable n’est ni une identité qui imposerait sa loi de fer ni une diversité bariolée et libre, il demande à être construit par une règle, qui n’est pas donnée d’avance, mais qui suppose une coopération entre les parties. C’est pourquoi cela n’a pas de sens de se réclamer des images et de leur mobilité si l’on entend illustrer vraiment l’universalisme. L’universel est nécessairement abstrait. C’est vrai que cela ne le rend pas aisément représentable. A trop vouloir représenter on ne représente rien. Mais cela ne veut pas dire que l’abstrait soit un tyran, et le concret une armée d’« identités » particulières, encore moins que l’universel peut se concevoir comme une collection d’identités particulières. Cela veut juste dire que dans la cité l’abstrait est ce que doivent vouloir ceux qui cherchent un bien commun. Tant qu’à faire, je trouve que la rotonde de la Villette de Nicolas Ledoux aurait eu mieux sa place dans le défilé.