J'ai déjà ici commenté "Reusement" dans les Biffures de Leiris, où le poète se remémore les assonances de son enfance comme " Habillé en cour" . J'ai les miennes, de gloses, que je serre dans mon glossaire, par exemple quand, enfant j'entendais "cire humaine" quand on me parlait du cerumen que j'avais dans les oreilles. Ou quand j'entendais dans "Fier comme Artaban" fier comme un bar tabac. Longtemps je suis allé au métro Montparnasse-Bienvenüe en croyant qu'on me souhaitait bienvenue à la gare Montparnasse. Aujourd'hui, quand j'entends parler de l'ethique du care, je crois entendre éthique du Caire.
Ceci quand bien même, tardivement, j'ai rejeté, bendesquement, cette esthétique surréaliste qui veut voir dans les jeux de mots l'essence du langage. Leiris, Queneau voulurent l'un renouer avec l'histoire des mots de leur ontogénie, l'autre avec ceux du peuple. Cela me frappait fort, quand j'étais pataphysicien, et je crois que je n'ai jamais aimé Breton à cause de son langage châtié ( j'avais tort, car je pense qu'il adoptait ce ton non pas, comme je le croyais, par orgueil et style hautain, mais parce qu'il voulait, en adoptant le langage même de la littérature à laquelle il s'opposait, faire surgir les contrastes magiques qu'il espérait fixer dans la vie). J'ai plus tard compris que Marcel Duhamel, avec les titres de la série noire, faisait exactement la même chose que Leiris, et bien entendu Prévert et Vian.
Ainsi, passant récemment devant la Rue de la Rosière, dans le quinzième arrondissement, pourtant rue très quelconque et mocharde vers la place du Commerce, je pensai immédiatement au choix que fit Duhamel de traduire The little sister de Chandler par Fais pas ta rosière. Quel rapport entre le personnage du roman, les starlettes de Hollywood, et le titre de Duhamel? Chandler, comme le notait François Forestier au moment de la retraduction du livre, ne comprenait pas : "On définit "rosière" comme une jeune fille à qui l'on décernait une guirlande de roses et une petite dot pour la récompenser de sa vertueuse conduite. Son emploi ici me laisse pantois.» Mais Duhamel, et les traducteurs de la série noire des années 50 (comme Henri Robillot , qui était provéditeur du Collège, et Jeanne Hérisson) avaient leur logique, qui venait tout droit du surréalisme et de la pataphysique: ils pensaient tout de suite à transposer le Hollywood des années 40 dans le Paris et sa banlieue des années 50, mais aussi utilisaient leurs souvenirs littéraires. Quand nous parlons de rosières, nous pensons immédiatement à Maupassant, Le rosier de madame Husson, dont fut tiré le film de Jean Boyer, devenu célèbre par la composition de Bourvil dans le rôle d'Isidore ( il y a une version de 1932, avec Fernandel). Dans toute cette histoire, il est question de vertu. On se prend en effet à essayer d'imaginer ce que cela pourrait vouloir dire aujourd'hui. Est-ce que le rosier de nos jours ne serait pas un jeune homme qui professe son féminisme, et Madame Husson une disciple de Judith Butler? Evidemment qui dit Isidore dit Ducasse. Le coq à l'âne continue quand on apprend que le CNRS a appelé Isidore son portail de recherche bibliographique.
Alors pourquoi, quand il m'est arrivé de parcourir l'admirable Golfe Saronique, qui fait face à l'Attique, avec ses îles Salamine, Egine,bordé au Sud par Poros, Spetsès, Hydra, ai-je pensé à un golfe sardonique?
Democrite contemplant sardoniquement le Golfe saronique |
Selon Littré, "sardonique" renverrait à une moquerie méchante et amère, comme un plante qu'on trouve en Sardaigne: "Il a un ris sardonique, il rit à contre-cœur, ou il a un ris moqueur, ou un ris annonçant la malignité." Le rire sardonique est la contrepartie de la schadenfreude, emotion de joie maligne. C'est le ris amer, celui de Démocrite. L'essence même du commentaire, qu'on fait sur un blog, comme le notait Hilaire Putnam sur le sien, peu avant sa mort.
Qui remplacera jamais Sylvana Mangano ? Il est aisé de remplacer les mâles, Gassman, Raf Valone. Mais qui nous rendra les grandes italiennes? |