En m'excusant de revenir
tout le temps sur ce
sujet. Le sens littéral de
bullshit n'est pas difficile à donner : bouse, bouse de vache. Le sens figuré, pour désigner divers types de discours ou de propos, est plus difficile. Le traducteur français du best seller de Harry Frankfurt,
On bullshit (1992, reed 2005, Princeton University Press, tr. fr 10/10, reed La table ronde) a rendu par "L'art de dire des conneries". Il y a en effet un sens où
bullshit signifie "connerie" ( et je renvoie ici à mon billet " inépuisable sujet") , au sens de :
dire n'importe quoi, déblatérer , déconner . La forme nominale
bullshitter se rendrait
donc par :
déconneur . Ce n'est pas tout à fait ce que veut dire le
terme au sens où l'emploie Frankfurt. IL cite l(Oxford English Dictionnary :
"trivial, insincere, or untruthful talk or writing; nonsense."
l'OED actuel est moins explicite
Cela ne correspond pas exactement à "connerie " en français, qui s'emploie autant pour un certain propos ou dire que pour un acte ou un comportement. Certes une déconnade est un certain type d'action. Mais "J'ai fait une grosse connerie" = "j'ai fait une bêtise".
Bullshit job en anglais c'est un "travail à la con". L'expression "à la con" est éminemment intéressante et mériterait des gloses. Mais je ne crois pas que le
bullshitting soit un propos à la con. De même "'ne dis pas des conneries" = ne dis pas des bêtises. Mais le bullshit, dans l'idée avancée par Frankfurt, selon laquelle le
bullshitting se caractérise par une forme de représentations trompeuse, mais qui n'est pas du mensonge, et par une absence de respect de la vérité, n'est pas de la bêtise. Un bullshitter peut être au contraire, très intelligent, ce que les classiques appelaient un
bel esprit. Frankfurt fait aussi le rapprochement avec l'anglais
humbug ( et tout son essai est un commentaire sur le texte de Max Black, "The Prevalence of Humbug" (dont je me demande si Fruttero et Lucenti se sont souvenus en donnant comme titre à l'un de leurs livres
la prevalenza del cretino) qui signifie : fumisterie. "Fumisterie " ne convient pas pour
bullshit , car un fumiste est quelqu'un qui pratique une certaine sorte de sophistication dans sa fabrication du faux. Le bullshit au contraire évoque plutôt, comme le dit l'OED , une sorte de diarrhée , un flux non contrôlé.
On pourrait , à bien des égards , traduire par "baratin" . Le bullshitter est un baratineur, un bonimenteur, un bavard et cela est conforme à l'idée que véhicule le terme de "propos de café du commerce", et à l'idée selon laquelle le
bullshitter est quelqu'un qui ne s'engage pas sur ce qu'il dit, qui ne prétend pas parler vrai , qui n'est pas sincère ni vérace. En anglais "cheap talk" , ou "just talking" , en français : "ce que j'en dis". En termes griciens, on annule son implicature ( l'implicature était qu'on parlait vrai, mais on avoue que c'est juste "pour dire quelque chose"). "Baratin" ou "bavardage" renvoient cependant un peu trop à la pratique de la conversation. Le
bullshitter ne baratine ni ne bavarde : il balance, il lâche . Quoi ?
Suggestion : il lâche
un pet . Le bullshit pourrait être une foirade, le bullshitteur un enfoiré.Beckett
a un titre "Foirade" Mais cela traduit "fizzle" , qui est une chute, plus exactement quelque chose qui tourne en eau de boudin.
Nous brûlons, si j'ose dire . On pourrait dire, si l'on veut coller à la bouse : "c'est de la crotte", ou " c'est de la merde". Mais cela ne capture pas le sens de bullshit comme discours vain. Celui qui ne s'occupe pas du vrai ni ne le respecte ne dit pas de la merde, ou de la crotte. Alors, ma traduction préférée pour
bullshit est
foutaise . La foutaise est ce qu'on lâche , comme le foutre, mais qui est dénué de sens, sans intérêt. Le bullshitt se moque de la vérité, il s'en fout. C'est un peu vulgaire, j'en conviens, mais cela correspond assez à l'image de la bouse de vache, que "baratin" ne rend pas.