Chaque fois que je lis l'un de ces livres de "popular science" qui se publient aux US ou des articles de journaux, je m'irrite que quand on cite des noms comme Kant, Spinoza, Hegel ou même Platon on éprouve le besoin de les appeler "philosopher Kant" , "philosopher Spinoza" ou " Philosopher Marx", comme si le lecteur pouvait hésiter entre le Kant de Königsberg et la Petra von Kant de Fassbinder, entre Baruch Spinoza et le général portugais Spinola qui présida la première république portugaise après la révolution des oeillets , ou entre Karl Marx et William Marx, et comme si ce lecteur était un tel crétin ne pouvait pas, quand il voit un nom qu'il ne connaît pas, aller simplement sur wikipédia ou dans une bibliothèque pour voir de qui il s'agit. Mais il est vrai que si l'on cherche "Frank Ramsey" sur internet on tombe sur un basketteur, ainsi que je l'ai déjà signalé ici, et que peut être des lecteurs de l'évêque Joseph Butler ont-ils pu penser que c'était Judith Butler dont il était question ( si c'est le cas, il n'hésiteront pas lontemps) . Le pire est quand, lisant un livre sur la raison , et supposé instruit, comme celui de Mercier et Sperber ( The enigma of reason, 2017 ) les auteurs croient bon d'ajouter à Martin Luther "the religious reformer", sans doute pour qu'on ne confonde pas avec le bluesman Luther Allison, ou à Hume "the Scottish philosopher" ( peut être craignent-ils la confusion avec l'Archevêque de Canterbury Basil Hume?) ( on notera en revanche quand il est question de Bjorn Borg les A. ne jugent pas nécessaire d'ajouter "the famous tennis man").
La même tendance à partir du principe que le lecteur est un idiot existe dans les média français de vulgarisation, où, quand on ne prend pas, à la différence des média US le lecteur pour un total analphabète, on éprouve le besoin de mettre le prénom avec le nom. Plus d'une fois, écrivant un article pour un journal, je me suis vu infliger d'appeler Kant Emmanuel, Leibniz Gottfried Wilhelm et Descartes René, alors même qu'il s'agissait de philosophie et pas des biscuits Leibniz. Heureusement on ne m'a jamais demandé le prénom de Platon ou d'Aristote. Je peux à la rigueur comprendre que si j'use d'une expression latine, comme sit venia verbo ou même mutatis mutandis les journalistes trouvent que c'est pédant et craignent que leur lectorat ne s'éloigne de leur prose si elle requiert un minimum d'effort linguistique et culturel. Mais à force de prendre les gens pour des crétins ils vont finir par le devenir.