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dimanche 28 mai 2017

Small expectations





                  Alec Guinness (left) as the Pale Young Gentleman , David Lean , Great Expectations


   Hume appelait « probabilités non philosophiques » les généralisations rapides, et le plus souvent dépréciatives que nous faisons dans la vie quotidienne, comme « Un Français ne peut être solide », ou celles que popularisa jadis Edith Cresson («  Les Anglais sont tous des pédés », « les Japonais sont des fourmis »). 

    Lucia Berlin (« Meilleur écrivain dont vous n’avez jamais entendu parler » dit un puff sur un volume) dans A manual for cleaning women (Picador 2015, tr.fr Manuel pour les femmes de ménage, Grasset, 2017  ) en note d’excellentes:

“I have a lot of unfounded generalisations about people, like all blacks are bound to like Charlie Parker, Germans are horrible, all Indians have a weird sense of humor like my mother. One favorite of hers is when this guy is bending down tying his shoe and another comes along and beats him up and says “You’re always tying your shoes”. The other one is when a waiter is serving and he spills beans in somebody’s laps and says “Oh! Oh! I spilled the beans” 

    Ces généralisations sont des inductions de mauvaise qualité, et nous nous en rendons compte bien souvent. Mais pourquoi les tenons-nous la plupart du temps pour des certitudes ? Dans le cas de Lucia Berlin, par une grande connaissance de la nature humaine (Pourquoi les Américains, si bêtes quand on les rencontre, sont-ils en fait si remarquablement intelligents ? Pourquoi les Européens, si fins et si intelligents quand on les rencontre, sont-ils si bêtes ? pourquoi les Anglaises, comme Austen et Eliot, entre autres sont-elles si intelligentes ? Pourquoi le peuple anglais, le plus intelligent de la Terre, a-t-il brexité?  Voilà encore un des mystères).  Dans mon cas, la chute après les inductions réfutées est que j’ai pensé, banalement, par simple bêtise. Le plus souvent ce ne sont pas des cas de jugements sur la base desquels nous évaluons des gens et des comportements, mais des cas de présomptions du même genre que celle de Stanley face à Livingstone (déjà discuté ici), à cette nuance près que Stanley présumait correctement . Voici quelques cas. 


   Electeurs de Le Pen 

   Il m’est arrivé souvent de prendre pour des électeurs du FN des gens aux allures de beaufs, de retraités haineux ou de bourges coincées dans le genre de celles campées par Valérie Lemercier. L’inférence est immédiate de l’allure au bulletin de vote. Mais j’ai été surpris de constater qu’en fait cette France a voté Mélenchon ou Macron plutôt que Fillon ou Le Pen. 

 La femme laide vue de dos 

   Souvent dans la rue on voit de dos une femme élégante, bien balancée,  au visage encadré par une belle chevelure blonde, anticipant le joli minois, et on est bien déçu, quand on la dépasse, de découvrir un visage ingrat. 

 Le sombre abruti 

   Très souvent, dans une assemblée, dans le public d’une conférence, ou simplement dans une réunion avec des collègues, je remarque un individu dont le visage et l’apparence me semblent être ceux d’un sombre abruti : allure moche, petits yeux chafouins, lippe pendante, bajoues, air inexpressif et insipide. Quelle n’est pas ma surprise quand, au cours de la réunion ou dans une rencontre subséquente avec l’individu en question, je me rends compte qu’il s‘exprime remarquablement bien, a l’esprit vif et pénétrant et fait des raisonnements brillants. Il est vrai que j’ai souvent ce genre d’expérience dans des réunions philosophiques, où l’on a à peu près une chance sur d’eux de rencontrer des gens de valeur. 

Le beau jeune homme pâle

   Une fois dans le bus 82, qui va des beaux quartiers au Panthéon, je portai mon attention sur un beau jeune bien mis, aux allures élégantes et aristocratiques, et me dis qu’il s’agissait encore d’un de ces fils de famille fortunés et choyés par la vie, qui font des études de droit avant de reprendre la boîte familiale. Il ressemblait au Pale young Gentleman avec lequel Pip se bat au début de Great Expectations. A l’arrêt du bus, il se leva, claudiquant, avançant avec difficulté. C'était un infirme.  
   
    Ces cas sont ceux d’apparences trompeuses du genre de celles discutées par les sceptiques anciens, ou de prolepses épicuriennes, où on se dit : "Si j'avais su...". Ils ne mettent cependant pas en jeu une perception immédiate, comme dans le cas de la pomme d’apparence saine qui se révèle pourrie, mais bien une inférence, qui n’est pas simplement inductive. Il y a d’abord une perception immédiate, mais qui est tout de suite interprétée à la lumière d’une induction hâtive. Beaucoup d’émotions fonctionnent ainsi : la peur de l’araignée ou de la salamandre sur le mur, la colère qui nous prend quand on découvre le papillon sur le pare-brise. Mais à ces perceptions sont associées des inférences complexes. Ainsi la même colère nous prend quand, lisant un journal, on y découvre encore une interview d’un des philosophes médiatiques que nous haïssons le plus. 

   La plus idiote de ces inférences que j’aie jamais faite remonte à près d’une quarantaine d’années. Nous louions, ma femme et moi, un appartement à Berkeley, sur Blake Street, un peu au-dessus de Shattuck avenue. Un jour le propriétaire, un charmant vieux monsieur, nous demanda si nous avions besoin d’une aide pour faire le ménage. C’était gratuit, nous dit-il, fait par une personne qui avait l’habitude de nettoyer les appartements du même bloc. Nous acceptâmes. Sonna à la porte une jolie brune aux yeux bleus, qui n’avait pas du tout des allures de femme de ménage, mais que malgré nous nous traitâmes comme telle, en lui parlant avec indifférence. Nous lui laissâmes la clef et sortîmes de l’appartement, pour le retrouver nickel le soir. Je n’avais alors pas la moindre idée que cette femme de ménage était Lucia Berlin, qui vivait alors à Oakland. Comme elle le dit : «La plupart des Américaines sont très gênées d’avoir des domestiques. Elles ne savent pas quoi faire pendant qu’on est là." L'idée qu'elle ait pu me percer à jour en nettoyant mon appartement en désordre me fait rétrospectivement frémir.

Goodbye Ruby Tuesday
Who could hang a name on you?
When you change with every new day
Still I'm gonna miss you
"There's no time to lose", I heard her say
Catch your dreams before they slip away
Dying all the time
Lose your dreams and you will lose your mind
Ain't life unkind?




jeudi 4 mai 2017

MILOU EN MAI


     Nous sommes en mai 1968. Milou vit avec sa vieille mère (Paulette Dubost, qui jouait Lisette dans La règle du jeu) dans sa belle propriété du Gers. Il se livre à l'apiculture, à l'arboriculture et la pêche, notamment aux écrevisses. On entend à la radio les échos  des premières manifs. La vieille mère meurt subitement. La famille débarque : la fille de Milou, jouée par Miou Miou et , le frère de Milou, marié à une anglaise, la nièce lesbienne jouée par Dominique Blanc et sa petite amie danseuse. La famille commence à se disputer sur l'héritage, le partage de l'argenterie et des meubles, la vente de la propriété. Les nouvelles du départ de Gaulle, de l'occupation de la Sorbonne et des manifs commencent à se faire pressantes. Un deuxième fils débarque flanqué d'un camionneur joué par Bruno Carette ( est-il le fils de Julien Carette ? nouveau clin d'oeil à La règle du jeu). La panique prend la famille, qui de peur de la révolution,et rejointe par les voisins du château d'à côté ( Valérie Lemercier en bourge), se sauve dans un exode type juin 40 dans la forêt. La crise est passée, de Gaulle revenu, et la chambre bleu horizon bientôt élue. Milou hésite entre détachement goguenard et dépression, joue les jolis coeurs, et la fille de Miou Miou est l'équivalente de la petite fille que rencontre Marcello sur la plage d'Ostie dans la Dolce Vita.
A la fin Milou danse avec le fantôme de sa mère.