jardin d'octobre 2015
Un philosophe se demandait un jour d’octobre
pourquoi il avait consacré la majeure partie de son travail à discuter de la
question des normes, des raisons, et de la nature de la raison et de la vérité,
plutôt que de s’intéresser directement aux vérités elles-mêmes, et défendre à
leur sujet telle ou telle thèse.
Peut-être devrait-il– devra-t-il - finir comme ces deux « philosophes
marseillais » dont parle Nerval dans Les
nuits d’octobre, l’un de ses plus charmants textes.
« Nous nous
entendons si bien, mon ami et moi, qu'en vérité, sans le désir d'agiter notre
langue et de nous animer un peu, il serait inutile que nous eussions ensemble
la moindre conversation. Nous ressemblerions au besoin à ces deux philosophes
marseillais qui avaient longtemps abîmé leurs organes à discuter sur le grand
Peut-être. A force de dissertations, ils avaient fini par s'apercevoir
qu'ils étaient du même avis, - que leurs pensées se trouvaient adéquates,
et que les angles sortants du raisonnement de l'un s'appliquaient exactement
aux angles rentrants du raisonnement de l'autre.
Alors, pour ménager leurs
poumons, ils se bornaient, sur toute question philosophique, politique ou
religieuse; à un certain Hum ou Heuh, diversement accentué, qui
suffisait pour amener la résolution du problème.
L'un, par exemple, montrait à l'autre, - pendant qu'ils prenaient le café ensemble, un article sur la fusion.
« Hum ! disait l'un.
- Heuh ! » disait l'autre.
La question des classiques et des scolastiques, soulevée par un journal bien connu, était pour eux comme celle des réalistes et des nominaux du temps d'Abailard.
« Heuh ! disait l'un.
- Hum ! » disait l'autre. »*
L'un, par exemple, montrait à l'autre, - pendant qu'ils prenaient le café ensemble, un article sur la fusion.
« Hum ! disait l'un.
- Heuh ! » disait l'autre.
La question des classiques et des scolastiques, soulevée par un journal bien connu, était pour eux comme celle des réalistes et des nominaux du temps d'Abailard.
« Heuh ! disait l'un.
- Hum ! » disait l'autre. »*
Un wittgensteinien soutiendrait sans doute
que la philosophie ne va pas au-delà et n'a pas à aller au delà. Le philosophe est comme ce mauvais
orateur que cite Gérard , qui veut donner tous les détails:
« En effet, le roman
rendra-t-il jamais l'effet des combinaisons bizarres de la vie ! Vous inventez
l'homme, ne sachant pas l'observer. Quels sont les romans préférables aux
histoires comiques, ou tragiques d'un journal de tribunaux ?
Cicéron critiquait un orateur prolixe qui, ayant à dire que son client s'était embarqué, s'exprimait ainsi : « Il se lève, - il s'habille, - il ouvre sa porte, - il met le pied hors du seuil, - il suit à droite la voie Flaminia, - pour gagner la place des Thermes », etc., etc.
On se demande si ce voyageur arrivera jamais au port; - mais déjà il vous intéresse, et, loin de trouver l'avocat prolixe, j'aurais exigé le portrait du client, la description de sa maison et la physionomie des rues; j'aurais voulu connaître même l'heure du jour et le temps qu'il faisait. - Mais Cicéron était l'orateur de convention, et l'autre n'était pas assez l'orateur vrai.
Cicéron critiquait un orateur prolixe qui, ayant à dire que son client s'était embarqué, s'exprimait ainsi : « Il se lève, - il s'habille, - il ouvre sa porte, - il met le pied hors du seuil, - il suit à droite la voie Flaminia, - pour gagner la place des Thermes », etc., etc.
On se demande si ce voyageur arrivera jamais au port; - mais déjà il vous intéresse, et, loin de trouver l'avocat prolixe, j'aurais exigé le portrait du client, la description de sa maison et la physionomie des rues; j'aurais voulu connaître même l'heure du jour et le temps qu'il faisait. - Mais Cicéron était l'orateur de convention, et l'autre n'était pas assez l'orateur vrai.
Le philosophe est assez content, quand,
comme Musset, ce garçon coiffeur qui avait un moulin à musique dans son coeur (dont sans doute le titre inspire ironiquement Gérard), il peut
dire
Jours de travail ! seuls
jours où j'ai vécu !
Ô trois fois chère solitude !
Dieu soit loué, j'y suis donc revenu,
À ce vieux cabinet d'étude !
Pauvre réduit, murs tant de fois déserts,
Fauteuils poudreux, lampe fidèle,
Ô mon palais, mon petit univers
Ô trois fois chère solitude !
Dieu soit loué, j'y suis donc revenu,
À ce vieux cabinet d'étude !
Pauvre réduit, murs tant de fois déserts,
Fauteuils poudreux, lampe fidèle,
Ô mon palais, mon petit univers
(Musset, La nuit d’octobre)
Et quand on est dans son
cabinet, on doit être prolixe. Et donc de refuser la tentation wittgensteinienne de la promenade automnale.
* Ces deux philosophes sont ce que l'épistémologie contemporaine appelle des "pairs épistémiques".