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mardi 3 mars 2015

GYGES ET LASSIE




                                     Gygès , par Francesco Rizzi da Santacroce



Internet, c’est l’anneau de Gygès. Encore plus Face book, où vous pouvez voir sans être vu. C’est le Passe Muraille de Marcel Aymé: 

« Comme sa porte d'entrée était fermée à clé de l'intérieur, l'incident lui donna à réfléchir et, malgré les remontrances de sa raison, il se décida à rentrer chez lui comme il en était sorti, en passant à travers la muraille. »

Autrement dit, en cliquant. Toutes sortes d’effets, et du même coup d’expectatives en découlent, et d’abord de resquilleries, quelles que soient les "remontrances de notre raison" : 

« Plus le nombre d’individus devient grand, plus la tentation du resquillage devient forte, et le parjure ou l’escroc devient de moins en moins repérable (Alain Boyer, Chose promise, PUF, 2014 , p.169, voir Nouvelle Quinzaine littéraire, N°1123, 1 mars 2015).

Plus les publications sont « scientifiques », plus elles sont confidentielles, et réservées à des happy few, cachées du public. De grandes compagnies d’éditions, comme Elsevier, Wiley ou Springer vendent leurs livres très cher. Le prix devient rédhibitoire. En contraste internet met ( ou semble mettre) tout en libre accès. Qui ne serait tenté de passer la muraille ? 

Gygès 2015 n’est pas une timide violette, il espère sous le manteau électronique obtenir bien plus de son privilège d’homme caché : celui qui met ses articles sur internet ou en open access cherche la renommée, voire la gloire, mais tout ce qu’il obtient, c’est le plagiat, de la part des millions de Gygès du web. On peut le plus souvent ne pas se faire prendre; mais on peut se faire prendre aussi.

    Des voix s’élèvent. C’est, nous disent-elles, un argument en faveur du refereeing, de l’expertise anonyme des revues.  Mais l’expertise anonyme a aussi ses dérives. On pourrait préférer la sagesse de l’editor de jadis. Mais il n’a plus le temps de tout lire, il doit déléguer. 

    In petto on fait souvent le mal. Mais on fait aussi souvent le bien. Dans une des aventures de Lassie chien fidèle, on voit le shérif et son adjoint passer le matin en station wagon  devant la ferme où ils voient Lassie assoupie. Mais à leur insu pendant la journée Lassie n’arrête pas : elle sauve un enfant, empêche un malfrat de cambrioler une maison, sauve une vieille dame de l’incendie, secourt un groupe de scouts de la noyade, etc. Le soir venu le shérif et son adjoint passent au même endroit et voyant le chien assoupi, disent : «  Ce chien ne fait rien de toute la journée à part dormir » . 

    De même dans le l’ homme qui tua liberty Valance ( voir ici même Doniphon reste dans l’obscurité alors que c’est lui qui a tué Liberty Valance, et c’est Stoddard qui en retire le bénéfice de la renommée. Il devient célèbre grâce à une imposture. La leçon usuelle du film est : « Si la légende dépasse la réalité, imprimée la légende » et «  la force , la ruse et le mensonge sont nécessaires pour sortir de l’état de nature ». Mais la leçon est aussi que c’est celui qui a agi courageusement et droitement qui est le pigeon, le dindon de la farce, le sucker. Comme dans le DP ( voir Boyer, op cit)